J'aime le final de la troisième symphonie de Jean Sibelius car il ne finit pas, jusqu'à ce qu'il finisse tout de même. (Beethoven, lui, finit mais n'en finit pas de finir. Un génie différent.) Comme souvent chez Sibelius, un pupitre est sacrifié : dans le final de la deuxième, ce sont les flutes qui répètent, répètent, répètent ces deux mêmes notes, comme des oiseaux obstinés qui ne voudraient pas laisser venir la nuit ; dans la troisième les cordes grattent, frottent, grondent, grattent, frottent, grondent. La symphonie commence comme cela : par les contrebasses qui grommèlent un thème bonhomme, un grand-père à l'air sévère qui chantonne une comptine. Une demi-heure plus tard, le grand-père chante toujours dans sa moustache mais des bourrasques de vents le couvrent parfois : sur le rythme obstiné des cordes, les bois et les cuivres plaquent une mélodie bien plus lente, si allongée qu'elle n'empêche pas l'oreille de se réchauffer au ronronnement des cordes qu'elle ne semble qu'éclairer. (Beethoven, lui, décore ses mélodies lentes de motifs rapides.) À mesure, les accords se font plus riches, mais toujours si épars, si rares, si discrets qu'on ne les remarque qu'à peine : on croit que le ronronnement durera, d'ailleurs il ronronne, et crescendo. Jusqu'à ce qu'à cette absence, puis la cadence et enfin le silence.
Certains chefs laissent deviner la fin, sur la fin : la mélodie des cuivres vainc progressivement les motifs des cordes, le dénouement approche, la cadence nous salue bien poliment. (Bernstein vieux.) Je préfère de loin qu'on me laisse la surprise. (Bernstein jeune.) Laissez-moi croire que les cordes continueront leur ouvrage obstiné, que les vents chanteront pour toujours, que cela durera à jamais. Et, puisqu'il faut bien conclure tout de même, la cadence aura découpé comme une tranche d'éternité.