Il y a dix ans, alors que j’étais tout jeune embauché, Jacques, notre expert et mon supérieur hiérarchique de l’époque, m’avait proposé de l’accompagner en Arménie. Il s’agissait de suivre un chantier, sur plusieurs missions de deux ou trois jours. L’Arménie n’a qu’une centrale nucléaire (qui dans l’ensemble fait très peur quand on marche entre ses bâtiments), mais se dote peu à peu, souvent par le biais de moyens internationaux, de nouvelles installations.
Jacques est attaché à la langue russe, qu’il parle couramment. Il a séjourné en URSS dès ses études, à la fin des années 1960. Il n’a cessé de retourner depuis dans des pays qui au temps de la guerre froide étaient des satellites de la Russie. Il participe toujours, à ma connaissance, à des fouilles archéologiques dans ces régions, avec sa femme directrice de recherche au CNRS.
Lors de notre première mission à Erevan et Metzamor, je n’ai évidemment rien compris à ce qui s’est dit. Si les plus jeunes apprennent et parlent maintenant l’anglais majoritairement, les plus anciens qui étaient nos interlocuteurs, âgés disons de 45 ans et plus, ont dû apprendre le russe : l’Arménie a été sous domination soviétique jusqu’en 1991. (Un soir Jacques a d’ailleurs essayé de parler russe à un jeune serveur, qui lui a obstinément répondu en arménien – à dessein, m’avait-il semblé. La langue du dominateur était celle de la génération de ses parents, lui ne voulait plus que ce fût la sienne.) Ce fut donc la langue de travail pour quelques jours.
Avant la seconde mission deux mois plus tard, je m’étais mis un petit défi : comprendre au moins la conversation que Jacques ne manquerait pas d’avoir avec le conducteur de taxi, de l’aéroport à l’hôtel. Grande motivation, méthode express. Je me disais même, optimiste, qu’un jour je serais capable de lire Dostoïevski dans sa langue. J’ai compris une partie de la conversation dans le taxi, le moment venu, et quelques échanges informels (au restaurant, le soir ; à la cantine avec nos clients). Je suis retourné en Arménie une dernière fois courant 2007 ; je ne me suis plus rendu dans un pays russophone depuis, je ne le savais pas alors mais j’avais laissé-là toute velléité d’amélioration de mon niveau de russe pour les dix années à suivre.
En mai prochain, nous serons à Saint-Petersbourg à l’occasion des nuits blanches. Je me suis donc fixé un deuxième défi : revenir à l’apprentissage du russe par une méthode détaillée, afin d’acquérir une vision nettement plus extensive de la langue. J’aime bien l’idée d’aller dans un pays et d’en comprendre et parler un peu (beaucoup ?) la langue. Cette langue est difficile pour un Français comme moi, qui ne connais pas de langue slave, qui n’ai jamais été brillant en latin ou en allemand (langues qui ont quelques éléments de proximité avec le russe). Cela représente même un des plus grands efforts intellectuels dans lesquels je me sois lancé. Alors on sourira de mes y, de mes ю ; de mes a, de mes я car beaucoup seront mal-t-à propos. Mais je me rapproche doucement de Dostoïevski, я вам говорю !