samedi 27 février 2010

Doryphores

Quand j'étais enfant, il y avait des doryphores dans le jardin de mon grand-père ; plus tard, il y en eut aussi dans mes versions grecques, même si Mme Massaux insistait pour qu'on les appelle des porte-lances ; il y en a encore plein les musées, sur les ventres des outres ou dans les fonds des assiettes. Pourtant, ni dans les musées, ni dans les textes antiques, ni dans le jardin de mon grand-père, il n'y avait de pommes de terre. Pauvres bestioles : leur réputation doit être exagérée. Les maraîchers nous les présentent comme des monstres gloutons ; les hellénistes, comme des guerriers sanguinaires. Moi, de tout temps, je les ai trouvés très jolis, tous : les doryphores des musées me troublaient, avec leurs jambes élancées, leurs poitrail puissant et ce que Homère appelait leur lance virile ; ceux des guerres antiques apportaient une touche de fantaisie à nos traductions et enrageaient Mme Massaux ; ceux du jardin étaient costumés comme au théâtre, dans leurs carapaces de velours rayé d'or.

De cette époque, sans doute, date mon goût pour chercher la petite bête. Aux doryphores, les patates — je me charge des haricots.

lundi 22 février 2010

Le haricot vert est-il une couche lavable ?

L'idéal, évidemment, serait de réfléchir avant d'écrire ; mais réfléchir a posteriori n'est certainement pas le pire des pis-aller. Commençons donc par un battage de coulpe en règle : mon billet précédent est doublement coupable.

Et d'un, je me suis clairement laissé aller au bobo-centrisme. La pomme était si belle que je l'ai croquée sans plus m'inquiéter : l'occasion jubilatoire de rechercher et de citer des termes un peu rares ; le parallèle tentant entre la pauvreté du vocabulaire du fast-food et l'immédiateté de cette nourriture, le labeur de la cuisine traditionnelle et le bouillonnement du dictionnaire ; le besoin d'un retour à la terre, d'un retour aux racines pour un jeune citadin d'origine rurale. Tout y était. Le résultat ? Il faut équeuter les haricots pour éviter la barbarie. Faiblard.

Comment ne pas discuter, au moins, de ce que l'effilage des haricots peut apparaître comme un luxe ? Pour n'avoir pas eu dernièrement à me poser la question, il me semble bien avoir lu que les fruits et légumes frais n'étaient plus à la portée des foyers les plus modestes. Mettons que cette objection m'ait été masquée par mes préjugés de classe (appelons cela comme cela), il y en avait une autre, bien plus proche de mon quotidien, que je suis impardonnable de n'avoir pas vue : l'équeutage des haricots est un loisir pour celui qui rentre raisonnablement frais d'une journée raisonnablement courte d'un travail raisonnablement épanouissant, pour celui sur lequel ne pèsent pas d'autres tâches ménagères que cet équeutage librement choisi, pour celui que l'urgence des attentes d'un conjoint amorphe ou d'enfants braillards ne contraint pas. N'est-ce pas un luxe exceptionnel d'avoir pour loisir ce qui, si facilement, pour d'autres, serait une corvée ?

On touche à ma deuxième faute : j'ai raté une occasion de parler d'Élisabeth Badinter. Elle est au centre d'une petite polémique pour avoir opposé écologie radicale et émancipation de la femme. Son argument : l'écologie fait le lit du naturalisme et, revenant sur les acquis du XXe siècle, tend à réduire la femme à la maternité. (Je résume d'après la presse, car j'avoue ne pas avoir lu Le Conflit.) L'exemple qui circule est celui des couches lavables et de l'allaitement naturel qui, de bonnes pratiques environnementales, deviennent des impératifs moraux puis des corvées auxquelles la femme se doit de se plier pour être une bonne mère, c'est-à-dire une bonne femme.

On reproche à Mme Badinter d'ignorer les nuances du mouvement écologiste et de considérer Mmes Kosciusko-Morizet ou Duflot comme des écologistes radicales. (Je peux gagner, à ce jeux-là : si ces dames sont radicales, j'ai parmi mes amis de véritables extrémistes.) Une radicalité aussi consensuelle peut certes faire sourire, mais ce serait passer à côté de la question.

Si l'on s'éloigne un instant du féminisme, auquel je ne peux guère apporter et que Mme Badinter défend très bien sans mon aide, on voit assez bien la ressemblance entre la couche lavable et le haricot. Deux pratiques, marginalisées par le progrès technique, que l'on promeut soudain au nom de la nature (ou, plus marginalement, de la lexicographie), en faisant fi de la contrainte, de l'asservissement qu'elles peuvent engendrer. Deux impératifs qui viennent rogner la liberté des plus faibles, discrètement, au nom d'une cause indiscutable devant laquelle tout doit s'effacer.

N'y a-t-il pas une voie moyenne entre la Cause des uns et la Liberté des autres ? Ou, formulé autrement, suis-je vraiment tenu d'adhérer à une AMAP, de rencontrer des paysans et de renoncer à choisir les haricots que j'effile ou que j'équeute ?

samedi 20 février 2010

Thesaurus

On équeute les haricots verts, on écosse les petits pois, on égraine le raisin ; on décortique les noix, on monde les amandes, on dénoyaute les cerises ; on concasse les tomates, on hache la viande, on presse les fruits ; on cisèle la ciboulette, on pile l'ail, on émince les oignons ; on plume la volaille, on pare le poisson, on débite un bœuf ; on vide le poisson, on désosse la caille, on écaille les œufs ; on faisande le gibier, on vieillit le vin, on affine le fromage ; on allonge la sauce, on réduit le jus, on déglace la marmite ; on abaisse la pâte, on réserve l'appareil, on beurre le moule à manqué.

Ce que c'est, tout de même, d'aimer le jargon et la grammaire ! Ce moule à manqué ! Voilà qui est aussi douloureux que plaisant. Et s'il n'y avait que ça ! Il y a la duxelles de champignon, singulière à force d'avoir l'air plurielle : c'est le cuisinier du marquis d'Uxelles qui l'a inventée — c'est là qu'est l's.

J'aime tout ce que ce jargon, ces verbes qu'on ne croise que dans les livres de cuisine et qui nous laissent désemparés. Julian Barnes en a fait tout un chapitre : hacher finement les oignons ou les ciseler grossièrement, quelle différence ? (C'est dans The Pedant in the Kitchen, que je vous conseille évidemment.) J'aime tout ce jargon car, passée l'inquiétude de mal faire, on y voit la marque d'une technique, d'un art, d'une culture. On ne comprends finement que ce qu'on nomme finement : en l'occurrence,  le passage, le lien d'une nature brute à la sophistication d'une blanquette de veau.

C'est le lien, le passage, le verbe, qui importent : lorsque le poisson est livré cubique, et le fromage carré, et la mayonnaise en tube, la nature s'éloigne jusqu'à disparaître tandis que le vocabulaire s'appauvrit. Salade, tomates, oignons ?

mercredi 17 février 2010

Capote en tweed

Un vieux monsieur dans des tons ternes : pantalon couleur tourbe, gilet bleu marine sur une chemise à fines rayures grises, veste de tweed. Un nœud papillon excentrique comme seule touche de couleur : au-dessus du col, une peau grisâtre à plis et replis, une moustache blanche soigneusement taillée, des cheveux clairsemés. Un petit pas de vieillard prudent sur la moquette. Semi-detached house, tea-cosy, bow-window : un décor mille fois planté. Une table face à la rue, une tasse fumante, une machine à écrire. Les petits pas, feutrés, lointains d'abord, puis de plus en plus proches. Le vieux monsieur, déjà décrit. L'Oxford English Dictionnary pris au passage dans une bibliothèque bien remplie : d'Auden à Whitman, d'Austen à Wordsworth, entrelardée de Shakespeare et de Marlowe.

Le vieux monsieur s'installe, boit une gorgée de thé, tire vers lui sa vieille Imperial. Il hésite un instant et, comme le pianiste qui se relève à demi pour régler la hauteur de son tabouret, il fait le tour de sa chaise et la déplace de deux pouces vers la droite. Il se rassied, survole le clavier sans s'y poser et hoche la tête de satisfaction. Le romancier anglais s'apprête à écrire un roman anglais.

Les stéréotypes ont la vie dure.

Julian Barnes, David Lodge, Alan Benett, voilà ce que ces noms m'évoquent lorsque je les vois sur une couverture. Malgré tout ce que je sais d'eux, malgré les fragments biographiques, malgré les photographies, malgré même ce que j'ai déjà lu d'eux, j'en reviens toujours là. Comment voulez-vous, après, que je ne sois pas surpris quand on éjacule chez Lodge, quand Barnes se masturbe, quand on pisse bleu chez Benett !

So shocking.

jeudi 11 février 2010

Zeitgeist

Questions en suspens

  • Comment communiquer ? Comment passer la barrière de la timidité, de la gêne ou de l'inconfort ? Comment trouver les mots justes sans choquer l'interlocuteur ni affadir sa propre pensée ? Comment faire passer l'autre avant soi-même malgré l'orage des sentiments, la tempête de tristesse, les éclats de joie provoqués par sa conversation ? Bref, comment échapper à l'égoïsme ?
  • Comment aider ? Comment comprendre sans interroger, réconforter sans pontifier ? Comment ne pas s'immiscer ni s'éloigner ? Comment éviter les risques de l'indifférence et de l'indiscrétion ? Comment faire sentir sa présence sans l'imposer ? Bref, comment se résoudre à n'être que là ?
  • Comment consoler ? Comment aller au-delà de sa propre tristesse pour éponger celle de l'autre ? Comment espérer y pouvoir quoi que ce soit ? Comment faire fi de cette impuissance et oser malgré tout ? (Mais qu'oser ?) Bref, comment faire, pour une fois, mieux que le pitre ?
  • Comment dire à ses amis qu'on les aime ? Mieux, comment être vraiment à leur côté ?

Question résolue

  • Comment écrire un billet à l'infinitif présent ?

mardi 2 février 2010

Je me suis vendu au Grand Capital

L'Auvergne s'étant vue délaisser par ici, ces derniers temps, évoquons deux de ses enfants les plus illustres : Pascal et moi. (George Clooney viendra dans un second temps.)

Je me sens obligé de me justifier, tout à coup. Si, Pascal est illustre : il est de ces très rares philosophes incontestables dont la gloire est telle qu'un prénom leur suffit. Pascal, comme on dit Alain ou Socrate. (Même si Alain ne s'appelait pas Alain et que plus personne ne s'appelle plus Socrate.) Mais pas comme Pascal Obispo, par exemple.

Par ailleurs, Pascal est bien auvergnat : la porte de sa maison se trouve dans le jardin Lecoq à Clermont-Ferrand ; elle donne sur le petit pont qui franchit le bassin aux canards. Si la géographie et l'ornithologie ne suffisent pas, reste la preuve par Vialatte :

Pascal aimait tellement l'Auvergne qu'il naquit à Clermont-Ferrand.

L'Auvergne absolue, éd. Julliard, p. 107.

La littérature et les canards s'accordant, je tiens pour acquis que Pascal est un Auvergnat illustre. Mon cas est hélas plus douteux. Je ne me suis illustré que par l'honneur qui m'est fait de vous avoir pour lecteur. Et, avouons-le, je ne suis qu'un Auvergnat exogène : j'ai germé dans le Berry, on m'a rempoté dans la pouzzolane, je n'ai poussé qu'ensuite à l'ombre du Puy de Dôme. Je ne me réclame de l'Auvergne que pour attirer l'indulgence de Pascal, pour adoucir son jugement. Car, à travers les siècles, il me juge et me jauge ; son regard sombre comme la pierre de Volvic pèse sur moi.

Nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

Certes, mes études n'étaient qu'un passe-temps qui ne m'occupait qu'entre deux répétitions ou deux chapitres à écrire. Ma voie était tracée : je serais romancier-comédien. Je suis ingénieur et je n'ai pas mis les pieds dans un théâtre depuis cinq ans. Mais mon travail n'est qu'un gagne pain qui me nourrit entre deux chapitres à écrire... Qui essayé-je de convaincre ? Qui trompé-je encore ? Ouvrons les yeux. Je n'écris pratiquement plus : je réduis des coûts, j'améliore des performances, je rends possible le difficilement faisable. Ce qui n'est pas rien, mais je n'écris pas.

Dans In the Air, J.K. Simmons est Bob, un employé lambda d'une entreprise anonyme. Costume-cravate, air respectable, établi ; mais il n'y travaille qu'en attendant de vivre sa passion, d'ouvrir son restaurant, d'oser, dit-il depuis au moins quinze ans. Dans In the Air, toujours, George Clooney liste les choses qui nous lestent et nous empêchent d'avancer : toutes ces babioles qu'on achète, qu'on accumule ou qu'on se voit offrir. Toutes ces choses dont l'attachement rend chaque jour plus difficile de franchir le pas.

J'ai depuis une grosse semaine un nouvel ordinateur professionnel. Écran de 17 pouces, coque en acier brossé, un bel objet ; un objet aguicheur, un objet flatteur, un objet flagorneur. Ce modèle s'appelle EliteBook...

Faut-il y voir un signe ? Ce billet est le premier depuis qu'on m'a offert ce nouveau jouet : une semaine sans écrire, une pause dans la laborieuse résurrection de ce blog. Il y a sans doute un choix à faire : céder à l'EliteBook flambant neuf ou dompter ce vieux portable qui me sert à bloguer et dont la touche "a" ne fonctionne plus ? Ne pas choisir serait déjà un choix.

À voir.

lundi 18 janvier 2010

Vieux people

Qui est donc cette Marie-Thérèse ? L'homme du vingt-et-unième siècle, éduqué à la presse de caniveau, flaire le graveleux. Il s'agirait d'en savoir plus : Haydn a donné son nom à sa quarante-huitième symphonie ! Qui était-elle ? Qui était-elle pour lui ? Qu'ont-ils fait ensemble ?

Renseignements pris, rien. Mais ne brûlons pas les étapes : prenons la symphonie comme un portrait et imaginons. (Cette symphonie n'est justement pas un portrait : l'exercice n'en sera que plus injuste et plus drôle.)

Marie-Thérèse sonne comme une grosse dame rigolote (allegro), spirituelle (finale), mais un peu mélancolique parfois (andante). Est-elle veuve ou vieille fille ? Je ne saurais dire. Mais une chose est sûre : elle aime la chasse à courre. Oh ! ça oui. (Pourquoi, sinon, ces sonneries de cor dans le premier mouvement ?) Le dimanche, bien avant la messe, quand l'aube blafarde peine à déchirer la brume sur la lande, un fusil dans le dos, un parapluie-canne à la main, toute vêtue de tweed et de daim, elle part. Un canard sauvage, un faisan, quelques bécasses plus tard, elle s'en revient, passe un tablier et met à mariner. Une messe rapide où elle tient l'orgue puis, de retour chez elle, mijotage, rôtissage et braisage. Dans la salle à manger, une horloge de grand-père sonne enfin midi. On frappe à la porte. Elle ouvre. Entre un vieux monsieur en perruque poudrée : c'est Papa Haydn. La suite ne regarde plus qu'eux.

Résumons : pour moi, Marie-Thérèse ressemble à Wendy Worthington, tendance chasseresse, ascendant cantinière. Évidemment, rien de tout ça n'a existé, mais ce n'en est que plus beau.

Les compositeurs ont ainsi semé des noms à travers l'histoire. Si, grâce à Beethoven, Élise est sans doute la plus connue, la dédicataire de l'Annen-Polka de Johann Strauß fils est ma préférée : je la vois tournoyer telle une toupie obèse dans une salle de bal bondée, éjectant les autres danseurs, écrabouillant son cavalier. (Fantasia est passé par là.) Il s'agit le plus souvent d'hommages et non de portraits, mais il n'est pas interdit de s'amuser. Une exception, tout de même : Sir Edward Elgar a maquillé ses amis derrière des trigrammes cryptiques et  a embrumé le tout dans un thème mystérieux. Ce sont les variations Enigma. Les musicologues, qui ne sont pas moins joueurs que les autres, ont identifié tout les personnages (Cela brime l'auditeur, qui aimerait les inventer.) mais ils butent toujours sur le thème.

Finalement, qui est donc cette Marie-Thérèse ? Une impératrice d'Autriche, excusez du peu. Mais cela n'a pas la moindre importance, si ?

jeudi 14 janvier 2010

Regrets éternels des éternels seconds

Y a-t-il seulement un film qui ait été sauvé de la médiocrité par son acteur principal ? Le talent des stars est en cuivre ; il ne brille que si un scénariste, un metteur en scène, un réalisateur le frottent à la paille de leur génie ; livré à lui-même, il se ternit, se vert-de-grise, se réduit à une petite chose décorative mais sans éclat. Tandis que les seconds rôles ! Ah ! les seconds rôles... Des pépites qui persistent à briller une fois tombées dans la fange.

Certains réalisateurs acceptent certains scénarios pour une scène, une seule, qu'ils veulent pouvoir tourner. Brian De Palma et l'interminable plan-séquence au début de Snake Eyes, par exemple. Certains spectateurs, de même, n'acceptent certains films que pour une apparition, une éclaircie, un miracle. Ces spectateurs, dont je suis, vénèrent des saints obscurs dont les noms sont oubliés et dont seuls les visages flottent dans la mémoire collective. Ils apparaissent à l'écran comme, sur un vitrail, tel chevalier terrassant un dragon : l'icône est familière au plus mécréant, mais était-ce Saint-Georges ou Saint-Michel ? L'enthousiaste, seul, reconnait Joe Viterelli ou Vincent Schiavelli. La liste est longue de ceux qui s'entassent dans ce Panthéon mal éclairé : Jürgen Prochnow, Patrick Bauchau, J.K. Simmons, James Cromwell, Holland Taylor, Robert Prosky... Des querelles de chapelle apparaissent : Max von Sydow est-il trop connu ? et Christopher Plummer ? et Vincent Price ?

Pourquoi tout cela ? A cause de tout le reste : Anything else n'est pas un grand Woody Allen. C'est un film honnête, mais un peu lent, un peu bavard, sans la magie ou la folie qui illuminent les meilleurs opus. Pour autant, je le reverrai sans déplaisir et je le conseillerai à quiconque. Car Danny De Vito. Même plus besoin de verbe : Danny De Vito, dans une scène surtout, que je ne dévoilerai pas, Danny De Vito est l'action. Danny De Vito s'installe à table, bouscule involontairement la table, la salière manque tomber, Danny De Vito la stabilise d'une main, s'excuse auprès de la star, s'assoit, attend, écoute, est surpris, est peiné, est énervé, vocifère, postillonne, n'essuie pas la bave qui lui reste sur le menton, hurle, envahit le décor et le parcourt comme une boule, un flipper. Pour cette scène, et pour sa chute, je reverrai ce film, inévitablement.

Inévitablement, aussi, une légère tristesse m'étreint lorsque je croise un de ces merveilleux seconds couteaux. Joe Viterelli a-t-il toujours rêvé de ne jouer que des hommes de main mafieux ? Danny De Vito n'aurait-il pas voulu, un jour, être un jeune premier ? Christopher Lee n'aimerait-il pas, un jour, ne pas faire peur ? Que font-ils tous, entre deux films ? J'aime les imaginer jouant Shakespeare dans un petit théâtre poussiéreux où l'on ne les oblige pas à être eux-mêmes. Ils y jouent sous pseudonyme ou exigent pour leur nom le corps de police le plus minuscule de l'affiche. Le texte est bon : pas de miracle pour aujourd'hui, c'est relâche, c'est récréation. John Goodman est Roméo, Mariane Sägebrecht est Juliette, le balcon n'a qu'à bien se tenir.

Peut-être, plus simplement, attendent-ils tous les matins le scénario de leur vie en enviant Bill Murray dans Lost In Translation.

samedi 9 janvier 2010

D'un vice à l'autre

Écrire un blog, c'est très exactement comme arrêter de fumer. On s'y jette plein d'espoir lorsqu'une nouvelle année approche que l'on veut traverser la tête haute. Les premiers jours sont exaltants mais, très vite, les tentations deviennent trop fortes. Un jour, on craque : on a une idée de billet, mais il y a Nicky Larson à la télévision. Avec Jacky Chan. On se doute bien que ce n'est qu'un prétexte, que l'envie n'y est plus, mais on se jure que ce n'est l'affaire que d'un soir. On écrira ce billet le lendemain, ce n'est pas un drame. Le lendemain devient le surlendemain ; les jours deviennent des mois ; et le blog, une jachère. Les commentateurs qu'on aimait tant, malgré leurs smileys, ne s'arrêtent plus que de temps en temps pour déplorer le temps qui passe. Ils laissent quelques mots, comme des chrysanthèmes sur une tombe.

Pour éviter cela, le blogueur ruse, le blogueur s'amuse, le blogueur se force à ne pas s'ennuyer : tel écrit ses billets sur papier et publie les photos de sa graphomanie ; tel autre ouvre un blog, puis un autre, peut-être d'autres encore qu'il nous cacherait ; tel dernier semble avoir renoncé. La toile, qui n'oublie rien, persiste à ouvrir les portes de ces maisons ou personne n'entre plus.

Ce blog-ci va essayer de renaître, sous un nouveau nom et sous de nouvelles couleurs. Ether, c'était un joli nom (merci Pico de me l'avoir trouvé !), mais c'était un nom choisi par défaut. Comme la charte graphique, d'ailleurs : quand on ne pense pas rester dans une maison, on n'en change pas la tapisserie. Eh ! bien, faisons mentir l'entropie, forçons le destin : quelques heures de travail et la peinture est quasi fraîche, désormais. Il reste sans doute quelques finitions de-ci de-là pour qu'Internet Explorer se sente aussi chez lui.

Ayant désormais une idée assez claire de ce que ce blog peut être, je peux lui choisir un titre. Et une figure tutélaire, du même coup : Alexandre Vialatte avait son Grand Chosier, je m'en suis aménagé un petit. Un bric-à-brac de métaphores bancales, de rythmes ternaires et de brimborions. En noir sur blanc, avec des lettrines rouges.

Terry Pratchett dit que tout le monde veut avoir écrit. Le difficile étant d'écrire, tous les jours, un peu. Au travail, donc.

jeudi 7 janvier 2010

En attendant l'apocalypse...

Pour l'instant, tout va bien.

Pas le moindre flocon en vue, les rues sont praticables, à peine reste-t-il quelques centimètres des dernières intempéries sur les toits, sur les branches, dans les recoins. Il gèle, certes. Mais la nuit est encore noire. Pour combien de temps encore ? Bientôt, le ciel virera au jaune, à l'ocre, et l'asphalte au blanc. Entre les deux, de grosses peluches zigzagueront lentement. La neige, quand elle se décide à tomber, ne semble pas pressée : les flocons se baladent, virevoltent de-ci de-là, remontent tout à coup, comme sur un coup de tête, dans un coup de vent. Il fera jour, d'un jour en sépia : le sol, le ciel, l'entre-deux, tous diffuseront la lumière des lampadaires, des phares, des néons. Il y fera clair comme dans une orange quand le soleil tape sur l'arbre, quand ses rayons percent la peau du fruit et en réchauffent les quartiers. Du moins, le piéton l'imaginera-t-il ainsi en avançant voûté, arqué, par réflexe. Pour ne pas se faire mouiller, il baissera la tête ; pour ne rien manquer du spectacle, il la relèvera. À cette oscillation verticale, le verglas ajoutera son incertitude latérale. La ville sera alors un grand magasin de jouet où danseront les culbutos, une grande banquise que traverseront des manchots.

Je viens de vérifier à la fenêtre : tout va bien encore.

Pas le moindre manchot en vue, pas de lumière féérique, la ville n'est pas encore enfermée dans cette orange rêvée, comme un monument dans sa boule à neige. Pourtant, demain, la fenêtre sera aveugle. On l'ouvrira sur un mur d'un blanc bleuté qu'on tâtera sans y croire. La main s'y enfoncera, on l'en retirera bien vite par peur de l'engelure. On montera vers les étages supérieurs, pour trouver une sortie. Au quatrième, au cinquième peut-être, on atteindra enfin la lumière. Dehors, ce sera un désert blanc, des dunes glacées, de loin en loin une oasis de cheminées et d'antennes de télévision, regroupées comme pour se tenir chaud. Pas âme qui vive. Alors on organisera le siège : les réserves sont maigres, mais les chocolats restant de Noël nous tiendront le mois. S'il fait vraiment trop froid, on videra la bibliothèque, on sauvera les livres et on brûlera le bois. On se blottira sous la couette pour se tenir chaud, on n'osera pas bouger, on lira toute la journée en attendant le dégel.

Je viens de vérifier à nouveau : tout persiste à aller bien.

Il faudra sans doute aller travailler demain, finalement. En attendant la prochaine Apocalypse...

dimanche 3 janvier 2010

Marronnier

Surtout, ne pas donner de chiffre. Les chiffres peuvent se vérifier, ce qui complique tout, ensuite. Travailler plus pour gagner plus, parfait. Les chiffres sont de la responsabilité du travailleur, ensuite ; l'important était de donner le cap. Deux ans plus tard, le travailleur gagne sensiblement la même chose ? Mais on n'avait pas dit gagner beaucoup plus ! Et, d'abord, avez-vous vraiment travaillé beaucoup plus ? Hein ?

M'inspirant de cet exemple auguste, voici ma bonne résolution de l'année :

Ventre plat avant l'été.

Vous la reconnaissez peut-être, c'est la même que l'an dernier. Je l'ai économisée, elle n'est pas usée, elle peut resservir.

Ce que j'aime bien, chez elle, c'est la liberté qu'elle me laisse. Vous en trouverez peut-être, des fanfarons qui se fixent des objectifs ambitieux : perdre tant de kilogrammes en tant de mois. Très peu pour moi ! Vous verrez, en août. Tandis que leurs amis leur demanderont des comptes, exigeront des pesées publiques, voudront voir de leurs yeux le mieux promis, les miens n'auront rien à opposer à ma mauvaise foi. Mais si, regardez : si je lève les bras, si je retiens ma respiration, si je rentre mon ventre, on voit presque mes abdominaux ! Et mon visage prend une belle couleur bleutée qui me va bien au teint. Qu'ils doutent et je pourrai insister : je n'ai jamais dit à quelle platitude je compte parvenir, ni même d'ici quel été.

Trêve de bêtises : bonne année à mes trois lecteurs restants et rendez-vous en janvier prochain pour la réitération de ma résolution préférée.

samedi 2 janvier 2010

Autobiographie, suite

Je ne suis pas du genre à grimacer face à la médisance. (Voilà ce qu'on appelle une litote.) Les commérages, les ragots, le persiflage ne me déplaisent pas plus.

Pour autant, les autobiographies me mettent parfois mal à l'aise lorsqu'elles se mêlent d'autres vies que celle de l'auteur. Si je supporte tout à fait les impudeurs du narrateur, le détail de ses perversions, le dictionnaire de ses petitesses ; si je prends même un certain plaisir à lire des méchancetés ou des détails croustillants sur sa famille, l'alcoolisme d'une mère, les inhumanités d'un frère, les excentricités de l'inévitable tante un peu folle ; je suis toujours embarrassé quand un pan de la vie privée d'un personnage public m'est dévoilé.

Page 228 de son autobiographie My Lives, Edmund White s'inquiète soudain :

I can imagine some of my friends reading this and muttering TMI - Too Much Information or Are we to be spared nothing? Must we have every detail about these tiresome senile shenanigans?

J'imagine certains de mes amis lisant ceci et marmonnant TI - Trop d'informations ou Rien ne nous sera donc épargné ? Doit-on vraiment savoir tous les détails de ces manigances exaspérantes de vieillard ?

Un paragraphe plus haut, il expliquait qu'il ne se déshabillait pas pour sucer T. dans les premiers temps de leur relation, que son seul objectif était d'amener T. à jouir et de pouvoir goûter son sperme ; un paragraphe plus bas, il détaille comment il a amené T. à le fouetter. Un chapitre plus tôt, il évoquait Michel Foucault, Susan Sontag et un grand éditeur parisien qui, à l'article de la mort, pouvait encore s'assurer des coups d'un soir grâce à son pénis énorme. Encore plus tôt, c'était sa mère alcoolique et grasse, étouffant dans un corset, flirtant avec les hommes qui lui payaient à boire mais échouant à en séduire aucun. Le tout, très bien écrit, drôle et touchant, comme il est de coutume de le dire en quatrième de couverture.

Pourtant, il y a quelque chose là-dedans qui me gêne. Et ce n'est ni le sado-masochisme, ni le drame familial. J'ai sans doute une trop grande aversion et une trop grande crainte du name dropping. En ce moment-même, j'imagine mes amis lisant ceci et marmonnant TRL - Trop de références littéraires ou Doit-il vraiment nous faire part de toutes ses lectures d'auteurs obscurs ? Il y a toujours un risque de fanfaronnade à citer un nom connu : ne cite-t-il tel auteur que pour se glorifier de l'avoir lu ? tel philosophe que pour le prestige de l'avoir rencontré ? En me raisonnant un peu, je comprends bien pourtant qu'on ne peut pas écrire une autobiographie (encore moins la vendre, ensuite) si l'on prend soin de ne citer que les gens qu'on a croisé et dont on est sûr que le lecteur de les connaîtra pas.

En janvier de cette année-là, mon boucher, M. Caillefer prit sa retraite. Son remplaçant, M. Duplessy, ne parvint jamais à me le faire oublier.

Au pilon !

En fait, ce malaise en moi, lorsqu'on évoque les mensurations d'une semi-célébrité ou l'agonie d'un philosophe dans une autobiographie, je le dois probablement à ma mère. Que vont penser les voisins ? La peur du qu'en-dira-t-on, enracinée dans la petite-genterie, arrosée de bassesse de sous-préfecture, ma mère en a fait une morale. Une génération plus tard, instinctivement, j'en fais un principe de critique littéraire. Un mauvais principe, qui plus est. Je devine l'objection à venir : pourquoi la peur du qu'en-dira-t-on ne couvrirait-elle que les personnages publics et non la famille et les proches de l'auteur ? Pour la réponse exacte, demandez à ma mère. Je suis peut-être imbibé de cette morale familiale comme une éponge oubliée au fond d'un évier mais, pas plus que l'éponge ne saurait vous dire pourquoi son côté vert ne doit pas frotter le téflon, pas plus je ne saurais vous expliquer pourquoi ce qui se fait se peut et ce qui ne se peut pas ne se fait pas. Disons simplement que, de ce que j'en ai compris, dauber sur la famille et colporter à propos des voisins relèvent plutôt du sport ou de la bonne hygiène de vie que de l'interdit moral.

Un dernier nom, une dernière lecture, pour justifier ou pour empirer la méchanceté du paragraphe précédent. Dans ce qu'il prétend ne pas être son autobiographie, Julian Barnes écrit ceci :

Il faut écrire comme si ses parents étaient morts.

mercredi 30 décembre 2009

Dieu, Woody Allen et moi

Une de mes amies disait de ma vie qu'elle ressemblait à celle d'Indiana Jones. Ma maladresse et mes exagérations faisant, mes moindres faits et gestes lui semblaient relever du dressage de fauve, du combat acharné ou de la cascade vertigineuse. Un trottoir à grimper, je trébuchais, roulade avant, je me redressais. La grammaire souffrait au passage, mais soudain le thème du héros résonnait : tadata ta ta da ! Voilà comment Géraldine imaginait ma vie : entrecoupée de coups de fouet et entrelardée d'aventures.

Une autre perspective, maintenant. Julian Barnes écrit, dans Nothing to be frightened of, que la vie n'est pas telle qu'on la raconte dans les romans, pleine de péripéties, d'inattendus et de choses intéressantes. Selon lui, la vie est plus répétitive qu'une symphonie de Bruckner. (Je cite de mémoire.) La comparaison est ingénieuse, mais elle me semble injuste et incomplète. Les répétitions de Bruckner sont infiniment variées, comme celles de Schubert. Et, surtout, elles débouchent toujours, à la fin des fins, sur une apothéose : une fanfare grandiose, les portes célestes entrouvertes, la lumière enfin. Exactement ce dont parle Julian Barnes pour en déplorer l'absence : je peux admettre que les symphonies de Bruckner se répètent (légèrement), si Barnes reconnaît qu'elles sont mieux achevées que la vie. Ce qui n'invaliderait d'ailleurs pas son propos (mais arrangerait bien le mien).

Thèse, antithèse, foutaise : permettez-moi de fournir une voie moyenne. Je ne parviens pas à voir ma vie comme une suite ininterrompue de riens inintéressants ; pas plus que je ne la traverse comme un héros affronte un wagon plein d'ennemis. Je vis ma vie, modestement, tranquillement, comme une comédie de Woody Allen : il ne s'y passe pas grand chose, mais tout y est prétexte à humiliation. Humiliation, le mot est fort : une humiliation serait déjà une aventure, alors qu'il ne s'agit justement que je lisser les aventures en les ridiculisant et de relever le quotidien en me ridiculisant. Disons que je traverse ma vie en me cognant aux murs, en titubant vers les toilettes, en trébuchant sur des cailloux.

Tout ceci m'a frappé en lisant l'autobiographie d'Edmund White, My Lives. En y regardant d'assez loin, nous avons la même vie : deux homosexuels, qui ont dû accepter leur nature et qui vivent leur vie du mieux qu'ils peuvent. Oh ! évidemment, il y a moins de gigolos, moins d'amants et moins de glamour de mon côté que du sien. Mais les grandes lignes sont les mêmes : un coming out, des femmes dont les pleurs reprochent le cœur brisé, des déclarations plus ou moins couronnées de succès. Mais quand tout, chez White, ramène à ce destin avec lequel il lutte depuis soixante ans (et qui surgit dès le premier paragraphe de son livre), tout pour moi m'apparaît rétrospectivement comme risible. Mon coming out ? Échappé par inadvertance, enfermé dans une voiture avec un chien pétomane et son maître soulagé de me voir autrement qu'asexué. Mes conquêtes féminines ? Anne, au collège, jouant les amantes bafouées, pleurant, hurlant, giflant, tandis que, stupéfait des effets de mon charme inattendu, je m'enfermais dans le mutisme. Ma déclaration la plus brillante ? Bafouillante, par téléphone, inopportune, à Romain, coincé dans un train, qui ne pouvait répondre que par SMS.

Je comprends finalement ces jeunes footballeurs qui se commandent une autobiographie dès leurs trente ans. C'est un exercice que l'on devrait faire régulièrement, pour guetter les changements de ton : aujourd'hui comique et détaché, mais demain ? Comme White, trouverai-je une ligne directrice qui me dictera mon premier paragraphe ? Ou, comme Barnes, ne verrai-je plus que des petits riens qui m'amuseront moins que la mort ne m'effraiera ?

(Plus inquiétant, encore : y aura-t-il encore quelqu'un pour la lire ?)

vendredi 27 mars 2009

Aventure dans le corail

Ce billet mériterait presque une catégorie propre.

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samedi 16 août 2008

Ligne éditoriale

Non.

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mardi 12 août 2008

Escale première : la Bretagne

 

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lundi 4 août 2008

Oui, et ?

(Page blanche.)

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mercredi 30 juillet 2008

Tadam !

Surtout, ne pas se faire remarquer. Avoir l'air innocent ; mieux : ne pas avoir d'air du tout ! Un retour en apnée, en somme. Les yeux qui jaunissent, le visage qui s'empourpre, les lèvres qui bleuissent : pour passer inaperçu, l'Auteur se déguise en arc-en-ciel. D'autant que l'apnée force la concision - qualité dont on a jamais trop. Un inconvénient, cependant : les auteurs apnéiques sont rarement prolixes. Surtout sur la fin.

(Tandis que les auteurs acnéiques, eux, suintent à pleins pores de la poésie dégoulinante d'adolescents frustrés. De la très haute importance des consonnes sur le destin des hommes.)

Evitons l'apnée, donc. Revenons-en aux bonnes vieilles méthodes : pour ne pas nous faire remarquer, écrivons les mains croisées derrière le dos, en faisant nonchalamment les cent pas, en regardant le ciel d'un air absorbé, en sifflottant le thème du Pont de la rivière Kwaï.

Avec tout cela, ce sera bien le diable si quiconque remarque que je suis revenu...

jeudi 31 janvier 2008

Pomme, pomme, pomme, pomme...

Vous n'en auriez pas plutôt à la cerise, cerise, cerise, cerise ?

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dimanche 15 juillet 2007

Petite chose

Annonce publique. 

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