Scène 1 : embuscade

La plaine africaine... Le paysage ondule dans la chaleur ; l'herbe jaune et cassante se dessèche. Les quelques arbres aux troncs noircis n'offrent qu'une ombre étouffante et poussiéreuse. Mais une crevasse profonde serpente dans la savane : le lit d'une rivière pas encore tout à fait asséchée. Il y fait plus frais, les berges sont humides et un filet d'eau boueuse y coule mollement. Un troupeau de gnous veut s'y désaltérer. La descente dans la petite vallée est ardue : la pente est forte et la terre friable roule sous les sabots. Une chute pourrait être fatale : les animaux sont prudents, mais nerveux.

Finalement, tous descendent sans encombre. Seul reste sur la pente un vieux mâle qui n'avait pas résisté à la tentation des petites feuilles encore grasses et vertes d'un arbuste qui poussait là. Quand il s'arrache enfin à son festin, deux lionnes l'attendent en contrebas. Il panique. Tente de remonter, glisse, tombe. Les lionnes sautent sur lui, mais il se relève avant qu'elles ne l'atteignent. Il s'enfuit. Elles le poursuivent, le guident le long de la vallée, l'éloignent du troupeau. Elles ne le rattrapent pas, elles n'essaient même pas. De derrière un arbre bondit une troisième lionne, d'un buisson une quatrième. Le gnou est pris au piège.

La meute mangera à sa faim.

Scène 2 : Attaque éclair

La plaine africaine... Le paysage ondule dans la chaleur ; dans l'herbe jaune et cassante une ombre, un frôlement glisse. Autour d'un arbre mort, des gazelles paissent. L'ombre, le frôlement les observe. L'attention de ce rien se pose sur une jeunette plutôt maigre. Elle n'aurait pas passé l'été, elle ne passera pas la journéz.

Le léopard mangera à sa faim.

Interlude

Deux stratégies, on le voit :

• la chasse en meute : ça demande beaucoup de coordination, il faut plus à manger pour nourrir la meute qu'un chasseur solitaire, mais c'est plus efficace (en taux de succès et en taille moyenne de la proie) que la chasse en solo ;
• la chasse en solo : ça rate souvent, mais une proie capturée suffit à nourrir le chasseur pour un semaine.

Si ces deux stratégies sont possibles, c'est parce que le nombre de proies est très largement supérieur au nombre de prédateurs (enfin, plus généralement, la prédation est possible grâce à ça) : il y a assez à manger pour faire vivre une meute, il y a assez d'occasions pour que le chasseur solitaire réussisse assez souvent.

Que se passerait-il si le nombre de proies était inférieur au nombre de prédateur ?

Scène 3 : Débâcle

Une soirée dans une École d'ingénieurs lyonnaise... Les spot-lights essaient d'égayer un peu le sordide des bâtiments, le résultat ressemble vaguement à un bunker redécoré par les folles de Queer - une réussite, donc, en un sens. Partout, des jeunes hommes s'agitent : ils dansent, diraient-ils. La plupart sont ivres, la plupart sont célibataires, la plupart sont désespérés. Quelques jeunes femmes rôdent et sont l'objet de toutes les attentions. Contre toute évidence, ce sont elles les proies.

Dans un coin, une petite meute de mâles plutôt plus séduisants que la moyenne s'agite plutôt plus en rythme que la moyenne. À les voir danser entre hommes ainsi, un observateur ne se douterait sans doute pas qu'ils sont hétérosexuels. Désespérément héterosexuels, et célibataires aussi. Ils sont en chasse : leur danse n'est qu'un rituel où ils s'encouragent, s'excitent, se convainquent d'y aller.

Mais il n'y vont pas. Car, dans leurs quelques neurones qui ont résisté à l'alcool et à la musique, nait cette intuition : si la meute part en chasse, si la meute lève une proie, si la meute réussit, ce sera la fin de la meute. Car la proie ne se laissera pas partager. Et chacun dans la meute la voudra entière, aussi.

Soudain, l'un d'eux change de stratégie : il a vu un documentaire sur le léopard la veille au soir sur Arte. Il s'éloigne du groupe d'une démarche souple, son regard fixé sur une demoiselle belle mais discrète qui semble s'ennuyer dans un coin. Les yeux de la belle se lèvent, se posent sur le jeune homme, un sourire éclaire leur visage. Il s'appuie au mur à côté d'elle, en silence. Quelques instants, ils vibrent ensemble au rythme du beat. Il se tourne vers elle, lentement, lui sourit avec grâce et se rappelle la clef du succès de l'attaque du léopard : l'effet de surprise. Droit au but !

Est-ce que tu baises ?

Le CPC ne chopera pas ce soir.