FIGOKWO

Où l'Auteur range vaguement son appartement.

La FNAC et les éditeurs de produits culturels sont contre moi. Je les soupçonne de se retrouver, de temps en temps, dans des lieux sombres en enfûmés, genre bar jazzy où on ne passe pas de jazz, pour trouver de nouveaux moyens de m'embêter. Et ils y arrivent.

D'un côté, on a les maisons de disque. Ah ! les maisons de disque... Elles ont des trésors dans leurs placards, dans leurs archives, dans des cartons poussiéreux ; elles ont les Tableaux d'une Exposition par Stokowski (Decca), elles ont les symphonies de Brahms par Svetlanov (Melodyia), elles ont des trucs dont je ne connais même pas l'existence mais que je tuerais pour connaître. Les éditent-elles ? Non, non, bien sûr, il y a plus important, il y a les André Rieux, les Karajan et même les Levine. Et quand ells rééditent, elles rééditent en catimini, en se cachant, sans le dire. Alors il faut être à l'affût. On repère le CD, on saute dessus, on l'achète. On ne se demande qu'en sortant du magasin si on avait assez d'argent sur son compte : il y avait urgence, le mois suivant, le CD ne sera plus au catalogue ou sera épuisé ou n'aura même jamais existé.

De l'autre, la FNAC. Ah ! la FNAC... Au risque encore une fois de me faire immôler par les provinciaux sur l'autel de l'anti-parisianisme, les FNAC de province sont aux FNAC parisiennes un peu ce que l'épicerie de quartier est à l'hypermarché : on y trouve de tout, à condition de se contenter d'une référence par produit. Elles sont petites, nos FNAC, il n'y a qu'un ou deux vendeurs au rayon classique, du coup le rayon reflète d'une part les ventes, d'autre part ses goûts. Il aime Furtwängler, il aime Karajan, il aime Böhm. Vous préférez Markevitch, Stokowski, Marriner ? Allez tout penaud commander auprès de lui. Ah ! Stokowski ? Il y a un représentant de Decca qui voulait nous en refourguer le mois dernier. On l'a envoyé chier, personne n'est assez con pour acheter ça. Alors quand vous allez à Paris, vous gambadez, vous flânez, vous vous perdez dans les FNACs gigantesques, vous fouinez, vous creusez, vous vous émerveillez.

Au final, ces deux effets conjugués font que j'accumule chez moi des petites merveilles que je n'ai pas le temps de lire, de voir, d'écouter, juste pour qu'elles ne disparaissent pas, tout bêtement.

C'est flagrant ce soir, où je range vaguement mon appartement. Des piles ont poussé, un peu partout, qu'il me faudra résorber, sans ordre particulier, FIGOKWO. Il me faudra lire The Turn of the Screw de Henry James, Fanny A Fiction d'Edmund White, Dorian de Will Self, De Profundis d'Oscar Wilde, quelques pièces de Shakespeare et relire Dracula pour pouvoir l'imiter. Il me faudra écouter les sonates et partitas pour violon seul de Bach par Nathan Milstein, les Suites pour violoncelle seul de Bach aussi par Pierre Fournier, le concerto pour violon de Brahms par Heifetz et Reiner, le double concerto de Brahms aussi par Heifetz, Piatigorsky et Wallenstein et réécouter les symphonies d'Enesco et de Bernstein que j'ai envie de redécouvrir. Il me faudra voir Affiliction, Eureka, Des Monstres et des Hommes, Zombie et revoir Halloween, Chromosome 3, Another Day in Paradise et Solaris.

Et j'ose prétendre que ma vie est vide ?