Petit chosier

Je préfère l'orchestre à l'instrument, la plupart du temps. Je n'aime pas le timbre du piano, le clavecin creuse mon ulcère, le violon me donne envie de huiler tous les gonds de mon appartement, l'orgue m'effraie. Alors que l'orchestre peut tout, m'émouvoir, m'amuser, me terroriser aussi, sans jamais me faire souffrir comme le pourait un violon. Je suis à l'aise face à l'orchestre, comme bizarrement je suis à l'aise face à une foule plus qu'à un individu.

Et pourtant...

Et pourtant, il y a la Partita n°2 en ré mineur BWV 1004 de Bach. C'est du violon qui grince, en première approche. Mais quels grincements ! On touche à quelque chose de grand, là, et je ne saurais dire quoi. Je découvre des territoires que je ne connais pas, les mots me manquent pour vous les décrire, j'en reste stupéfait. Je suis ému, je ne sais par quoi. Je suis transporté, je ne sais comment. Le génie de Bach ? Sans doute. Le jeu de Milstein ? Certainement, aussi. Il y a une évidence dans son jeu qui est le contraire de la virtuosité et qui le rend à la fois très humain et plus qu'humain. D'autres vous feraient sentir la difficulté ou vous prouveraient leur propre facilité. Pas Milstein. Tout est là, évident, beau, admirable.

Je pourrais vous dire, et longuement, pourquoi j'aime Svetlanov dans telle symphonie de Tchaikovsky, Markevitch dans telle symphonie de Brahms, mais je suis incapable de ne serait-ce que commencer de vous parler correctement de Milstein dans Bach.

Mon univers grandit.