Petit chosier

Le Rhône roule à gros bouillons, haut, brun, puissant. Des rameaux, des branches, des arbres même le suivent vers le sud. Des rameaux, des branches, des arbres noirs, nus, morts. Le savant, acoudé à la passerelle du pont de la Guillotière, cherche à relire dans les tourbillons serpentins l'orthographe exacte du nom de Bernard von Karman ; le despéré, à côté de lui, voit au bout de chaque bout de bois une main qui lui aggripe l'âme.

Le ciel est gris, le ciel est bleu, le ciel hésite. Le vent joue avec le passant, les ondées se jouent du passant. Le piéton entre dans le métro ruisselant de pluie, il ressort ruisselant de sueur. Il pleut ici, il vente là. Le citadin ne sait que porter. Les vêtements courts laissent se tremper les mollets et les avants-bras. Les manteaux longs cuisent à l'étuvée les plus frileux.

Des lingots de lumière tombent d'entre les nuages et pointent les monuments. S'il est un Dieu, s'Il a un doigt, c'est ce doigt rayonnant qui caresse la ville, qui illumine ses immeubles, qui éclaire ses rues.

Entre le fleuve et les cieux, la vie vie sa vie. Les amoureux et les pigeons roucoulent, les adolescents et les arbres bourgeonnent. Tous sont beaux. Monsieur embrasse madame, monsieur tient monsieur par la taille en sautant dans le bus, madame tient madame par la main en faisant les magasins. Tous s'aiment.

Pendant ce temps, l'Auteur fête son anniversaire seul devant un baba au rhum sous atmosphère protectrice. Sans bougie, sans confetti, sans brimborion - qu'est-ce d'ailleurs qu'un brimborion. Pendant ce temps, aussi, les vieux vieillissent. Ou ne vieillissent plus, le cas échéant.

Et la vie, indifférente, continue.