De hominem, de lupum et de cætera
Par FabriceD le vendredi 29 avril 2005, 21:55 - Doux délires - Lien permanent
La question me turlupinait depuis quelque temps. J'en ai désormais la réponse.
Avez-vous déjà remarqué que les loups ressemblent aux loups ? Par les loups, j'entends tous les loups. Et par aux loups, à tous les autres loups. Des crocs blancs comme la neige avant que le sang ne la macule, des yeux dorés qu'illumine la faim, une fourrure tentatrice où l'on voudrait plonger la main. Tous. Sans exception. Regardez autour de vous : vous ne verrez pas le moindre loup fantaisiste. Que des orthodoxes. Aucun loup ne se risquerait à porter, par exemple, des bois de wapiti. Ni d'orignal. Ni d'élan. Ni de rien du tout : aucun loup ne porte de bois. Alors qu'ils lui donneraient une majesté certaine. Et ce n'est pas là une aversion pour les couvre-chefs. Cela aurait pu se concevoir : tous les hommes n'ont pas une tête à chapeau, on voit mal pourquoi toutes les espèces auraient une tête à bois. Mais il ne s'agit pas de cela. Les loups n'ont pas de bois, certes, mais ils n'ont pas plus de sabots si pratiques sur chemin pierrailleux, ni de langue catapultable idéale pour gober les mouches, ni de queue de castor si apte à faire sourire les enfants. Concevez le handicap pour eux. Ils s'usent les coussinets sur les pierres et les cailloux, ils laissent perdre des proies pourtant riches en protéines, ils sont les monstres qui font peur dans tous nos contes. Et pourtant les loups persistent à vouloir ressembler aux loups.
Pourquoi ? Je le sais depuis hier soir.
Si les loups ressemblent aux loups, c'est pour qu'on ne les prenne pas pour des wapitis. Ou des orignaux. Ou des élans. Et par on, j'entends les autres loups, surtout. C'est évident ! Tous les loups y perdraient. Le loup qui se laisserait pousser les cornes serait poursuivi, harcelé, chassé par ses congénaires ; il vivrait dans la peur, dans le stress, dans l'inconfort ; toujours traqué, toujours pisté, toujours embêté. Comme un wapiti cornu, comme un orignal boisé, comme un élan xylophore. Et pour quoi, au final ? Pour rien du tout, puisque ses congénaires n'arriveraient pas à l'attraper. Eh ! quoi ! il connait tous leurs trucs, toutes leurs ruses, la moindre de leurs astuces. Il les déjouerait. Il se coucherait fourbu, ils se coucheraient bredouille. Quel intérêt ?
C'est pour cela que les loups ressemblent aux loups. Ou, plus précisément, qu'ils ne ressemblent pas aux wapitis et assimilés. Pour cela et pour une autre raison, aussi, peut-être plus essentielle encore. C'est que le loup qui par mégarde se trouverait ressembler à une demoiselle wapitie serait fort embarrassé lorsque les forêts commencent à raisonner du son mâle du brâme. Ce n'est pas une question de pudeur mais de simple volumétrie.
Mais assez parlé de loups et de ces bêtes cornues. D'ailleurs, on serait bien en peine de reconnaître un wapiti si l'on en croisait un dans la rue. On le prendrait pour un orignal. Voire, emporté par notre élan, pour un bête cerf de nos forêts. Assez donc de ces bêtes nordiques. Revenons-en à l'homme, c'est lui qui nous intéresse.
Du moins m'intéresse-t-il, moi. On le saura.
L'être humain aussi ressemble à l'être humain, mais cela ne suffit pas. La finesse de l'humain le perd.
Un jeune homme errait seul, hier, dans les rayons d'un hypermarché lyonnais. Il ressemblait à un être humain, comme vous, comme la petite vieille du troisième ou comme mon voisin avironneur. Un être humain tout ce qu'il y a de plus humain, donc. Bijambiste, bibrachiale et monocéphale. Humain. Et, incidemment, mâle quoique pas terriblement viril. Était-ce son jean très serré ? Ses petits gestes précis et délicats ? Son petit corps épilé et musculationné ? Son petit T-shirt rose terriblement moulant ? Sans doute était-ce un petit peu de tout cela. Toujours est-il que, devant un étal de courgettes, un bel homme noir à peine plus viril l'a abordé pour lui demander où il avait acheté son jean. Visiblement surpris, le bel homme blond a donné cette information. Froidement. Visiblement dépité, le bel homme noir est reparti. Seul. Quelques minutes plus tard, j'ai recroisé le T-shirt rose dans les bras d'une femme à qui, traumatisé, il racontait son aventure.
C'est à ce moment-là, devant un plein rayon de petit pois, que j'ai compris pourquoi les loups ne ressemblent pas aux cervidés.
Depuis, cette histoire m'obsède. Je ne peux m'empêcher d'imaginer ce qui se serait passé si ces deux hommes avaient fini la soirée ensemble. Je pense à cette pauvre femme qui rassurait sur sa virilité le type en T-shirt rose. La pauvre aurait été cocue.
Et son front aurait pris, métaphoriquement du moins, des faux airs de front de wapiti. Ou d'orignal. Ou d'élan.
Commentaires
Hum... et que dire des Yorkshire qui essaient de ressembler aux loups ?
"de", ça se construit pas avec l'ablatif ? Et pourquoi tu as pas sauté sur le bel homme noir !
L'ablatif...
J'aurais bien corrigé ni vu ni connu le titre et effacé ton commentaire mais... Il est si loin, l'ablatif, qu'il ne me revient pas... Cela restera donc ainsi. Quant au bel homme noir, je n'ai pas pour habitude de sauter sur quiconque avec un kilo de courgettes à la main. C'est un coup à se prendre des coups de parapluie d'une vieille dame, ça.
Dans le cas où tu sautes sur une vieille dame, en effet. Mais c'est à l'appréciation de chacun.
La vieille dame peut vouloir défendre le bel homme noir. Pour se le garder pour elle seule, peut-être même.
De viris illustribus urbis Romae...aaaah que de souvenirs !!!