Petit chosier

Ils ont bouché le trou.

Avec du bitume - que dis-je ? Avec de l'enrobé qui sent mauvais. Ce n'est pas la fin du monde, ni l'apocalypse, ni le jugement dernier mais... on m'a privé de quelques sourires quotidiens. Il y a désormais un vide dans ma vie. Un vide en forme de trou. Ne reste que le souvenir : sous l'enrobé le trou, sous le trou les pavés, sous les pavés le rêve.

Cela leur a pris quoi ? Une demi-heure et un peu de matériau - trois fois rien. Et il a suffi de ce rien pour combler la caverne merveilleuse où des rivières turquoises cascadaient entre les stalagmites, où le clapoti des gouttes qui glissaient des stalagtites dans les lacs limpides improvisait la plus belle des tocatas, où des poissons mystérieux, vaguement lumineux, vaguement aveugles, s'aventuraient sur les berges pour brouter des prairies de mousse phosphorescente. C'était là qu'ils allaient, mes pavés. Ou dans des cités troglodytes, parfois, où des bonshommes grassouillets, tout petits et tout ronds, casqués, avec une lampe sur le front, organisaient des tournois pour départager parmi les intrépides celui qui aurait l'honneur de grimper là-haut voler les pierres-de-ciel. Ou encore dans des cryptes malsaines, à l'occasion, où des rats rusés et mesquins, aux yeux rougis par la haine d'eux-même, dévoraient les chairs putrides des fidèles d'une secte oubliée, emmurés vivants, à demi-fous, à demi-morts, pour un dieu dont ils avaient oublié le nom.

Cela dépendait de mon humeur, de la couleur du ciel, de l'inspiration du moment. Cela dépendait du trou, surtout.

Encore un trou dont je ne pourrai plus tirer de plaisir, malheureusement.