Prémonition
Par FabriceD le samedi 25 juin 2005, 13:07 - Pile de livres - Lien permanent
Ce sera en automne. Ou au printemps, peut-être. Une saison où la nature se sent d'humeur créative. Et ce sera dans un parc, un jardin publique, une forêt peut-être. Je me l'imagine très bien déjà : les arbres violets, ocres, dorés, les écureuils qui courent en tous sens, la terre qui sent encore la pluie. L'air sera à la fois doux et frais. Cela sera parfait.
Moi, d'ici là, je serai un vieillard sec et gris qui avancera de son petit pas arthritique en prenant soin de ne pas glisser sur les feuilles encore humides. J'aurai un parapluie-canne, sans doute, et un costume terne. J'aurai le visage renfermé mais des rides bien placées laisseront encore deviner le son de mon rire. Dans ce parc, je marcherai seul. Et, quand je serai fatigué, je m'asserrai sur un banc vert que j'essuierai de mon mouchoir. Je planterai mon parapluie à la verticale devant moi et je poserai mes deux mains sur son pommeau. Ainsi installé, je regarderai passer les vivants. Des pigeons s'approcheront de moi avec des espoirs de pain sec ; mais il se tromperont de vieux monsieur. Rien pour les pigeons. Mon ombre, lentement, s'allongera devant moi ; le froid m'entourera ; le soir viendra. Alors je regarderai une dernière fois le paysage autour de moi avant de me lever en grimaçant. Et je repartirai d'où je serai venu, du même petit pas de vieillard surcitaire. Je croiserai un petit couple, deux jeunots, qui croiront tout savoir. Ils se tiendront par la main - ou n'oseront pas encore, peut-être. Peut-être rougiront-ils lorsqu'ils verront mon sourire charmé. Je porterai ma main au rebord de mon chapeau mou, ils me répondront d'un signe de tête. Nous nous croiserons, ils m'auront déjà oublié, je penserai à leur bonheur.
Et, sur ce dernier attendrissement, mon cœur cessera de battre.
J'aimerais tomber en silence mais un petit râle sec m'échappera sans doute. Mes genoux ploieront d'abord. Un instant, je resterai là, les mains encore accrochées à mon parapluie, comme un chevalier attendant l'adoubement de son seigneur. Puis je m'effondrerai pour de bon. Les petits se retourneront, coureront vers le cadavre, me tapoteront les joues, appelleront à l'aide. En vain. L'un d'eux restera à côté de moi, accroupi, à me tenir la main - c'est lui qui me fermera les yeux. L'autre n'osera pas s'approcher, il pleurera en silence, un peu à l'écart, en me tournant le dos.
Dans les jours qui suivront, on cherchera ma famille, on cherchera mes amis, on cherchera quelqu'un. Ma concierge dira que j'aurai été un monsieur bien calme, qui ne faisait pas d'histoire, qui n'oubliait jamais ses étrennes. Le petit con du premier pondra sur son blog un texte sur le petit vieux du troisième qu'il ne verra plus vadrouiller dans la cour intérieure. Mais on ne trouvera personne qui me connaisse vraiment. Vous serez tous morts, d'ici là. Ou, plus vraisemblablement, vous vous serez lassés. Quand on entrera dans mon appartement, cela sentira le vieux beau : la laque pour les cheveux, le cirage pour les chaussures et peut-être encore l'odeur du foie de volaille du dimanche passé. On y verra ma vie. Des livres, partout, en tas, en piles, en éboulis, qui prendront la poussière. Des disques, mêmement. Et, dans mes tiroirs, dans des dossiers, dans des classeurs à levier, mille textes plus ou moins avancés, jamais terminés. Un paragraphe à garder de-ci de-là pour tant de chapitres à jeter. On vendra les livres, les disques, les meubles. Les manuscrits, le mari de la concierge les brûlera sur le tas de feuilles mortes.
On m'enterrera au cimetière le plus proche. Quatre croque-morts pour porter le cercueil. Les amoureux du petit parc. Et personne d'autre. Ma concierge ne sera pas venue, à cause de ses rhumatismes.
Mon exécuteur testamentaire, un notaire triste comme une pluie de Toussaint, que je n'aurai jamais appelé autrement que Maître, qui ne m'aura jamais appelé autrement que Monsieur, cherchera mollement que faire de ce que j'aurai laissé derrière moi. Il ne recevra qu'une lettre. Une lettre courte, où il sera question d'une dette ancienne. Une dette de café. Je l'aurais remboursée, cette dette, si j'y avais pensé de mon vivant. En liquide. Et j'aurais versé les intérêts goutte à goutte. Cela m'aurait amusé. Mais mon exécuteur testamentaire, petit homme sans humour ni imagination, enverra un chèque. De guerre lasse, il fera don du reste à une œuvre de bienfaisance - une bigoterie, probablement.
Et c'en sera fini de mon passage en cet univers.
(Notez que je suis d'humeur plutôt joyeuse aujourd'hui. Je ne vous inflige ce texte sordide que pour me venger de votre silence.)
Commentaires
rien que pour pouvoir etre ce petit con du premier je resterais jusque là, nah
mdrrrrrr :D
Faut vraiment que tu arrêtes le foie de volaille périmé du dimanche. Sinon t'as oublié les cadavres de bouteilles dans l'appartement.
- Simone... Simoooone !
- Quoiii ?
- Viens voir, là, à la fenêtre, le vieux !
- Ben quoi le vieux ?
- Ben là, le vieux, merde, dans le parc !
- Eh ben quoi ? Tu me gonfles, t'as tourné gérontophile ?
- Ben regarde, c'est poilant, il essuie le banc avec son mouchoir !
- Putain je te comprendrai jamais, y'a des trucs que tu trouves drôles, des fois, ch'te jure... Je sais pas quelle idée ça t'a pris d'acheter l'intégrale posthume de Lagaf', mais vraiment...
- Waow eh r'gad' !! r'gad !! Il fout des coups de latte aux pigeons !
- Mais... attends... Mais c'est Papy Simonin !
- Oh ben oui putain c'est lui !
- La vache il a pris un coup de vieux.
- Ca lui fait combien maintenant ?
- Oooooh... Beeeeen...
- Oui au moins tout ça.
- Tu lui as acheté le pain ce matin ?
- Oah il s'démerde, s'il a assez de force pour faire le con sur un banc, franchement je...
- T'as payé la facture d'eau ?
- 643 euros pour 14 mètres cubes, ils se foutent de la gueule du monde. Pas encore. Pas d'sous.
- Allez Papy, on se lève... Oh putain !
- Quoi ?
- T'as vu il est tombé !
- ... Ouh là ça a l'air serieux...
- Merde il nous devait pas du fric ?
- Vite, éloigne toi de la fenêtre, on va nous voir.
Hé, non, plus tant de cadavres de bouteilles que ça chez Fabrice, on a été les jeter l'autre fois
Nounours : Toi aussi tu devrais publier. En BD peut-être, vu ton goût pour le dialogue. ;-)
MonsterBill:
Je crois que tu viens de confondre mAnU (star de la télé de son état) et nounours (Nutellophage professionnel).
C'est facile de nous différencier, passke j'ai pas de poil.
si les gens se mettent a publier plus chez les autres que chez eux où va t on, nan mais j'vous l'demande
FabriceD : En effet et j'en suis confus.
mAnU : Tu m'en vois profondément désolé. Tu peux prendre mon post précédent pour toi.
nounours : Il me faudrait être plus au courant de tes écrits, mais je ne doute pas que tu puisses toi aussi prétendre au succés populaire.
Et moi, et moi !!?
Stitch : Toi tu plagies (à moins que ce ne soit une référence ?). Rends à J.D. ce qui est à J.D.
Tiens, au passage, il y aura cet été une interview-feuilleton de J.D. sur France Inter (le dimanche de 11h à 12h). Pour les amateurs. ;-)
J.D. ? c'est qui, ça, J.D. ?
Remarque, ca ne serait pas la première fois que je "plagie" quelqu'un que je ne connais pas à l'insu de mon plein gré !
Après recherche ( www.radiofrance.fr/chaine... ) j'ai trouvé que ce fameux J.D. c'est Jacques Dutronc (dont j'ai appris le prénom à l'occasion).
Après consultation populaire de plantex, j'ai finis par comprendre que le plagiat en quetion venait de mon "Et moi, et moi?"
Il va sans dire que j'ai énormément apprécié ta remarque pleine de finesse.
patate
Si vraiment tu penses à rembourser les 12 893 cafés que tu me dois (et note que j'en suis touchée), aies une patite pensée pour les kleenex... ^_^