Nuisibles

Ils sont parmi nous.

Ce qui est petit est mignon, c'est ce qu'on dit du moins. Mais, surtout, ce qui est mignon est dangereux. Dangereux et nuisible. À circonscrire, à traquer et à éliminer. Sauvagement. Pas de quartier, pas de pitié, pas de prisonniers.

Cette position peut sembler extrême. À voir.

Il y a les Mogwaïs, déjà. Oh, qu'ils sont mignons, ces machins... De vraies peluches, avec leurs grands yeux et leur fourrure si douce. Et il chantent si joliement. Ouais, ouais, ouais. Mais nourrissez-les quand il ne faudrait pas, douchez-les alors qu'il ne faut pas, et c'est l'apocalypse, les Gremlins attaquent, la fin du monde est proche.

Il y a les enfants, aussi. Si, si, si, il y a les enfants. Ces machins grouillants, ruisselant de morve, de salive et de sécrétions innomables sont dangereux, ne le niez pas. Ne serait-ce que pour la santé mentale de leurs parents. Gazou, gazou, gazou, qu'il est beau le bébé, fais risette, gazou, gazou. Mais bien sûr. Et ils sont où les petits petons, ils sont où ? Bonne question. Partis, sans doute, avec les petits neurones.

Les pires sont les bébés animaux. Moi-même, j'avoue m'être fait avoir. Oh, ce n'est qu'un chaton, qu'une petite boule de poils où bat un petit cœur, qu'une petite chose qui ne demande qu'à être aimée. Cela a duré quoi ? une semaine, deux peut-être. Et la bête a muté. Des griffes ont poussé, et des dents, et un instinct de tueur. Le fauve ne rêve plus que de déchiqueter la main qui la nourrit, de sauter à la gorge de passants innocents, de s'accrocher à des mollets anonymes. Le tout, toujours très mignonement, bien sûr.

Tout ce qui est mignon est dangereux. Tout. Dangereux et nuisible. À circonscrire, à traquer et à éliminer. Bestialement. Sans ménagement, sans vergogne, sans hésitation.

(Même Romain, soit dit en passant. Il m'a fait me baigner dans le Léman, il veut que je fasse du parapente. Mais ne vous risquez pas à le circonscrire, à le traquer etc. Vous pourriez découvrir à quel point je peux devenir effroyablement mignon lorsque je m'en donne l'effort.)

Dernier exemple en date ? Les smileys.

Cela fait plusieurs fois que de ces saloperies essaient de s'infiltrer dans mes billets. J'écris mes conneries, comme d'habitude ; j'arrive à la chute, un peu piteuse, un peu pitoyable ; une chute où je me ridiculise un rien, où je me montre détestable, avec grandeur et prétention. Et je dois me retenir de glisser un clin d'œil au milieu de mon fiel, de mon grotesque... de mon clin d'œil. Quelle insulte ç'aurait été pour vous ! vous supposer incapables de voir la plaisenterie derrière la forfanterie. Et pour moi ! Si je n'arrive pas à vous faire sourire sans le soutien d'un bonhomme hilare comme une pilule d'extasy, si je n'arrive pas à vous émouvoir sans l'aide d'un teletubby pleurnichard, à quoi bon écrire ?

C'est le clair obscur qui est délicieux ; le smiley éclaire tout. C'est ne pas savoir si ce qu'on a devant soi est du lard ou du cochon qui est jouissif ; le smiley tranche dans l'art.

La photographie, le cinéma, la télévision nous ont habitué à un message pseudo-immédiat. L'image a l'air de se livrer tout entière, toute d'un coup. C'est une erreur, bien sûr, c'est évident : la photographie, le cinéma et la télévision nous le prouvent. L'image dit plus que ce qu'elle montre, ou dit autre chose, ou dit justement cela mais pas comme elle prétend le dire. Toujours.

Mais on nous invite à croire que l'image n'est que l'image, que l'image ne ment pas et dans le même temps que l'image n'importe pas. D'un côté CNN qui fait son beurre de la pseudo-objectivité de l'image, de l'autre ce crétin de Michael Youn disant chez Fogiel que ce n'est pas grave, ce n'est que de la télé. Entre les deux, les politiques qui se muent en communiquants. Mais ce n'est pas là où je cherche à en venir : simplement, à force de nous faire croire qu'un dessin vaut mieux qu'un long discours, on nous en convainct. Et on en arrive à penser qu'on fera mieux passer nos sentiments en quelques caractères grimaçants qu'en une phrase bien tournée. Et peu à peu le langage écrit perd ses nuances. Et le lecteur oublie les nuances. Ne les reconnait plus. Ne lit plus.

Et un lecteur qui ne sait plus lire, c'est un spectateur qui ne sait pas regarder.

Et les images ne sont plus pour lui que des images. La réalité est ce qu'il voit sur son écran au journal télévisé de TF1. Son cerveau n'est plus un filtre qui extrait du sens des images dont on l'abreuve, juste une éponge. Disponible.

Je vais encore passer pour un vieux con réactionnaire. Peu m'importe. Les smileys, le langage SMS, le langage djeune, tout cela participe à un même processus d'abrutissement.

Tel idiot centralien termine déjà toutes ses pires vacheries sur IRC et sur les forums sur un sourire - diplomatie de la tiédeur. Les kikoo-lol-mdr, ces machins zygomatiques envahissent MSN, IRC, les skyblogs et même des blogs "sérieux". Ils nous entourent. Et affadissent nos discussions. Plus de rythme à nos phrases, plus de cohérence à nos paragraphes. Plus de style.

Tout ce qui est mignon est dangereux. Méfiez-vous des gentils petits smileys.

Commentaires

1. Le mardi 23 août 2005, 08:37 par Val

:)

2. Le mardi 23 août 2005, 09:40 par Romain

Non, je ne VEUX pas que tu fasses du parapente à tout prix. Mais si un jour tu te laisses tenter par un biplace, je veux être là au déco ou à l'arrivée. Ou dans les airs à côté ?

3. Le mardi 23 août 2005, 09:49 par Val

moi je veux etre là a l'arrivée

haha :p

4. Le mardi 23 août 2005, 10:29 par Rom

On ne se moque pas à l'avance, c'est pas du jeu ! J'y arriverai, ça prendra du temps mais on verra un jour Fabrice en parapente. Mais si, Fabrice, mais si, tu vas voir !

5. Le mardi 23 août 2005, 10:31 par Virginie

Moi aussi je veux être à l'arrivée, mais pas juste en dessous...

6. Le mardi 23 août 2005, 10:53 par Monster Bill

Pourquoi me sens-je particulièrement coupable ?

Pour le parapente, c'est une chose que je veux bien tenter, moi. Mais ce n'est pas dit que ça amuse tout le monde autant que si c'est Fabrice.

7. Le mardi 23 août 2005, 16:22 par Stitch

Tu le dis toi même, si tu mets ton cerveau en mode 'filtre' au lieu du mode 'éponge', un smiley peut contenir une nuance.

Ceci étant dit, je suis tout à fait d'accord avec ta remarque sur la pire vacherie se terminant par un smiley, j'avais aussi noté le phénomène, mais n'est ce pas tout à fait délicieux que de voir poindre la faiblesse au delà de la vacherie? Ce genre de smiley est bien plus significatif que la phrase qui le précède. Et porteur de nuance, car assurément, ce smiley ne signifie certainement pas "j'déconne!!!". Les exemples ne manquent pas, il suffit de faire le tour des blogs dieze-truc pour s'en convaincre.

Chose qui n'est absolument pas vraie pour le parler SMS ou djeun's.

Ceci étant dit, rien ne remplacera jamais une bonne plume, je te rejoins tout à fait en ce point.

8. Le mardi 23 août 2005, 17:06 par Val

il semble quand meme que vous surestimez certaines personnes, qui ont besoin du smiley pour comprendre que la remarque formulée n'est pas forcément du premier voire du deuxième degré, faut pas non plus croire que tout le monde est aussi intelligent que nous (petit smiley se frottant les doigts repliés de la main gauche contre le bas de son épaule droite)

9. Le mercredi 24 août 2005, 00:00 par Lofox

On essaie tous, plus ou moins, de faire avec nos possibilités, nos capacités .... il n'y aura jamais d'égalité là dessus !

;) .... un petit pour la route.

10. Le jeudi 25 août 2005, 21:37 par claire&nico

on vote pour le vieux con en parapente!
Ceci dit, tu as parfaitement raison, le langage SMS c'est la fin de la langue française, mais qu'est-ce que vous voulez ma brave dame, la jeunesse n'est plus ce qu'elle était...

11. Le jeudi 25 août 2005, 22:02 par FabriceD

On n'aurait pas déjà eu cette discussion, toi et moi, Claire ? :)