Petit chosier

It was, in fact, one of those places that exist merely so that people can have come from them. The universe is littered with them: hidden villages, windswept little towns under wide skies, isolated cabins on chilly mountains, whose only mark on history is to be the incredibly ordinary place where something extraordinary started to happen. Often there is no more than a little plaque to reveal that, against all gynaecological probability, someone very famous was born halfway up a wall.

Terry Pratchett, Equal Rites

Les plaques comémoratives sont une source d'amusement sans fin.

On se demande un peu à quoi pensent ceux qui en rédigent le texte. Suivent-ils une formation spéciale ? Pour les immuniser à l'ironie ? Ils ont dû se mettre à deux, un beau jour, pour... quel est le mot juste ? rappeler, fêter, célébrer - disons, comémorer simplement l'assassinat de Sadi Carnot, rue de la République, à Lyon. À deux, au moins : un pour pondre le texte et un pour avoir l'idée : l'idée saugrenue de marquer le lieu de la mort du Président Carnot d'une dalle rouge sur le trottoir.

Hautement symbolique, une dalle rouge - rouge sang. Hautement perturbante, aussi.

C'est que la dalle fait dix centimètres sur vingt. Ce qui précipite le pélerin - car il est des pélerinages plus ridicules - dans des abîmes de perplexité. (Le pélerin, abasourdi, en est réduit à s'exprimer par clichés.) La grande Histoire ne résiste pas devant la dalle rouge : on se moque de savoir qui a tué Carnot, pourquoi, comment ? Ce qui inquiète, ce sont ces mesures... Que diable faisait Carnot au moment de mourir ? Il vivait, certes  mais encore ?

Se tenait-il pieds joints ? Vous n'y pensez pas ! Pour tenir pieds joints sur une dalle de cette taille, il aurait dû chausser du 10. Ce n'est pas sérieux - et la grandeur de la France, alors ! Jamais nous n'aurions élu un Président aussi sous-membré. C'est donc qu'il devait se tenir sur un pied. Et encore, un pied : un pied qui aurait chaussé du 31... Non, décidément, il faut se rendre à l'évidence : Sadi Carnot est entré dans l'Histoire sur la pointe d'un pied.

Peut-être dansait-il ; je ne sais. Une gigantesque ballerine barbue ; un échassier à moustache.

Dans un autre style, il y a, dans le centre-ville de Clermont-Ferrand, des sortes de petites plaques d'égout aux effigies de Blaise Pascal, d'Urbain II et de Vercingétorix. Elles sont censées baliser des itinéraires touristiques, si j'ai bien tout compris. Comme si la meilleure manière de découvrir une ville était de se balader le nez sur le trottoir à la recherche de petits portraits à peine ressemblants... Blaise Pascal, Urbain II et Vercingétorix. Un type qui envoyait son beau-frère en haut du Puy-de-Dôme pour mesurer la pression atmosphérique - par le chemin des muletiers, les autocars n'y montaient pas encore ; un type qui envoyait les nobles et les nobliaux de son temps découper de l'infidèle à Jérusalem ; et un type dont le titre de gloire est d'avoir gagné la bataille de Gergovie ailleurs qu'à Gergovie.

Avouez tout de même que c'est avoir le sens de l'orientation peu marqué que de confondre Gergovie et Chanturgue ! Le plateau de Gergovie se reconnait facilement : il y a le monument à la gloire de Vercingétorix ; et sur Chanturgue, un relai de télévision - comment Vercingétorix (et César) ont-ils bien pu les confondre ? C'est à en perdre leur latin ! Les cartes Michelins n'existaient pas encore, c'est leur seule excuse.

Vercingétorix, Urbain II et Pascal, donc. On a les héros qu'on se choisit.

Mais les Lyonnais auraient mauvaise grâce à rire des Clermontois : on ne moque pas les héros des autres quand les siens meurent en héron.