La couleur de la folie

Où l'on cite un grand penseur du XXe siècle.

Je suis plein de contradictions.

Le bellâtre anorexique de la pub pour CK One (By Calvin Klein)

Je suis une tapette - c'est du moins ainsi qu'une râclure m'a récemment présenté à une demoiselle. Je suis aussi - parfois, pas tout le temps, certaines fois plus que d'autres - une folle.

Je ne sais de quoi mon degré de follassitude dépend : de mon taux d'alcoolémie, assûrément ; de la fatigue, sans doute ; du degré hygrométrique, peut-être. De l'assistance, aussi, ou de l'absence d'icelle. Il m'arrive de marcher dans la rue et de me rendre compte, à un frôlement inhabituel de mes vêtements sur mon corps, que je tortille du fondement ; il m'arrive d'ajouter à ce phrasé précieux et heurté, à cette voix nasale qui me caractérisent, un falsetto d'eunuque ; il m'arrive plus souvent qu'à mon tour de me surprendre, les jambes croisées, le poignet cassé, la tête légèrement penchée : Jacky Kennedy sur certaines photos officielles.

Quand surviennent les crises ? Je l'ai dit, je n'en sais rien.

Cet après-midi, cependant, j'avais le follassomètre bien excité. J'avais accumulé les facteurs déclanchants. Pull framboise, manteau trois-quarts noir, mèche gominée : bobo décontracté, friday wear, cadre dynamique en RTT. Requiem de Mozart dans les oreilles, mais pas l'enregistrement du coffret que tout le monde a désormais, par Walter, l'immense Walter : culture, snobisme et fort pouvoir d'achat. Le publicitaire qui me lirait par hasard saurait reconnaître ces signes : culture, mode low-key (mais easy-wear), argent jeté par les fenêtres, un DINK ! une tapette ! Moi ! Et, donc, pour être en phase avec mon accoutrement, une folle.

Je souriais à la vie, aux beaux garçons que je croisais, aux belles filles aussi. J'allais, accessoirement, à Carrefour.

Là, démarche sautillante et chaloupée, je zigzagais entre les vieilles dames à caddies et les djeunes à bombers. J'en croyais l'espèce éteinte, soit dit en passant, du djeune à bombers : il m'avait semblé que le djeune à survêtement avec une jambière portée à mi-mollet lui avait succédé. J'ai dû me tromper. Bref, aérien, gracieux et futile, j'avançais en milieu vulgaire sans y prendre garde, comme un ballon gonflé à l'hélium dans une convention Républicaine.

Soudain, la folle s'est retrouvée en territoire inconnu : entre un mur de protections périodiques et une falaise de couches culottes. J'avais vu, plus tôt dans l'après-midi, une publicité pour une serviette contre les fuites urinaires : une femme en voie de ménoposation et sa fille en pleine gestation y discutaient de la difficulté d'être belle et sèche. Je n'osais croiser le regard des femmes que je croisais en ce royaume de la sphaigne et des barrières anti-fuites.

J'ai trouvé ce que je cherchais : les cotons-tiges. J'en ai pris un sac de cent soixante et je m'apprêtais à filer incontinent de mon pas léger quand je réalisai ce que j'avais fait. Alors, aussi discrètement et nonchalamment que possible, je suis retourné devant les cotons-tiges, j'ai reposé ceux que j'avais pris, en ai choisi d'autres. Des bleus. Les premiers étaient roses.

C'est que, voyez-vous, malgré tout, comment dire ? le rose... C'est pour les filles.

Commentaires

1. Le dimanche 19 février 2006, 10:22 par Virginie

Tu dis ça parce que mon portable s'illumine d'un rose bonbon du plus bel effet quand tu m'appelles ?

2. Le mercredi 22 février 2006, 18:00 par Obi-Wan

Tiens des cotons tiges de couleur... J'avoue que je n'aurais jamais pensé à une telle chute...

Mais pour l'annecdote, je te rappelle que Jacky Kenedy portait un ensemble rose à Dallas...

Romain se présenterait-il aux présidentielles ?

Obi-Wan,
Vite Jack Bauer m'attend...