Petit chosier

Je suis troublé. Hier soir, avant d'aller me coucher, j'avais posé sur la poignée du frigo un petit bout de fil blanc. J'avais vu McGyver faire ça, dans un épisode, sur la porte de sa voiture : à son retour, le petit bout de fil avait disparu, d'où il déduisait qu'on avait fracturé sa Jeep, d'où il concluait qu'elle était piégée - ce en quoi la suite des événements lui donnait raison. Le truc me semble a posteriori un peu douteux. D'abord, il faut qu'il n'y ait pas de vent : à la première bourrasque, plus de fil ; on se retrouve piéton par précaution ; on arrive en retard à tous ses rendez-vous. Ou bien, cela coûte une fortune en taxi. Et puis, surtout, sauf à être paranoïaque, on ne met un petit bout de fil sur la poignée de la porte de sa voiture que si on se sait menacé, non ? Et si on se sent menacé, on ne prend pas sa voiture : on prend le bus, par exemple. (Sauf si on n'aime pas Grand Corps Malade, évidemment.) Enfin, bref : qui suis-je pour critiquer les méthodes de McGyver ?

J'ai essayé, vous disais-je, le coup du fil. Sans le moindre résultat : on n'a pas ouvert la porte de mon frigo. Toute une nuit sans qu'il se passe rien. Alors quoi ? À quoi bon surveiller mon alimentation s'il ne se passe rien ? J'ai pourtant vérifié, ce matin, chez un marchand de journaux : Marie Claire, Madame Figaro et Jeune et Jolie sont unanimes. Pour être belle avant l'été, il faut surveiller son alimentation. Je l'avoue : être belle avant l'été n'est pas mon souci principal; mais Men's Health reprend le conseil à son compte, dans un but plus viril - Men's Health ! c'est dire le sérieux de la chose.

J'en suis venu à me demander si je n'avais pas mal interprété la consigne. S'il faut surveiller son alimentation, peut-être n'est-ce pas par crainte qu'elle entreprenne quelque chose, mais de peur qu'on s'en prenne à elle ? Mais cela ne va pas non plus : il n'y a que Romain qui ait accès au frigo, et j'ai toute confiance en lui. Qu'irait-il faire à mon alimentation que je devrais prévenir par ma surveillance soupçonneuse ? Soyons sérieux un instant : un coup de force des pommes de terre me semble bien plus à craindre. Ou un putsch des kiwis, ou un soulèvement du lait UHT.

Ce qui nous ramène au point de départ : l'imminence d'une révolution alimentaire étant désormais prouvée, comment expliquer que les yaourts n'aient pas cherché à sortir du frigo cette nuit ? Que leurs ferments lactiques ne fomentent pas quelque attentat me semble incompréhensible. Si c'est la Révolution, pas de demi-mesures, que diable ! Aux barricades ! Que des œufs kamikazes se jettent à mon visage ! Que la charcuterie tente de m'empoisonner ! Que les pâtisseries cherchent à m'étouffer ! Madame Figaro nous annonce la Révolution, mon alimentation tergiverse...

Tout ceci me déçoit : mon alimentation manque d'ardeur. Je crains que le vers de la réaction ne soit dans mes pommes.