Petit chosier

Très chère greffière, très estimé greffier (du Tribunal d'Instance de Saint-Amand),

Sans doute avez vous déjà suffisamment à faire sans la charge supplémentaire que je m'apprête à vous imposer. Les condamnations à signifier, les décisions à transcrire, les objections courroucées d'avocats grandiloquents à noter scrupuleusement. Je sais bien, accessoirement, que vous ne faites pas tout cela, que toutes ces tâches imaginaires ne sont que des souvenirs de mauvaises séries américaines ; il n'empêche : dans mon imaginaire, tel est votre sacerdoce. Vous côtoyez tout ce que la société produit de plus marginal et de plus inquiétant : le voleur de chevaux, le violeur de moutons, l'étrangleur de Londres et Jack l'Éventreur. Et l'oncle Machin qui truande le fisc. Tous, vous les regardez d'un œil juste, vous les jaugez, et vous devinez à coup sûr quelle peine sera la leur. Je vous l'annonce d'ailleurs sans honte : je crois que j'en ai pris pour perpet'.

Je dois vous avouer, très chère greffière, très estimé greffier (du Tribunal d'Instance de Saint-Amand), que l'idée de devoir vous écrire m'est parue, de prime abord, tout à fait incongrue. Je croyais, orgueilleux que j'étais, que ma place n'était pas au milieu des criminels communs ; que je méritais mieux que le commun des criminels du Milieu ; bref, que tous les pécheurs n'étaient pas à mettre dans le même panier à salade. C'est que la poésie de la chose m'avait échappé : quoi de plus naturel, finalement, qu'une très chère greffière, qu'un estimé greffier, pour opérer l'union de deux corps étrangers afin que leurs vies en soient plus fructueuses ? Périmée, désormais, l'image de la Justice beauté glacée, armée d'un glaive vivisecteur et d'une balance d'épicier ! Vous voilà, très chère greffière, très estimé greffier, des Cupidons jardiniers : des angelots fessus et ailés, tenant d'une main un arc d'or et de l'autre un arrosoir de fer blanc, enfilant (comme la grand-tante Léone) des gants de daim verts pour bouturer et greffer les amours modernes. Je ne sais trop si votre fonction y perd en dignité, mais elle y gagne en glamour. (Et l'étymologie en clarté.)

Pour toutes ces raisons, et pour quelques autres qui me sont propres, j'ai l'honneur et la joie, très chère greffière, très estimé greffier (du Tribunal d'Instance de Saint-Amand), de vous prier de bien vouloir me faire parvenir un certificat de non-PaCS. Cette demande, je la formule en toute humilité : ne pensez pas que je force votre promptitude, ni que j'exige de vous une diligence exceptionnelle. Prenez votre temps : consacrez celui-ci, que j'imagine précieux et compté, aux vrais criminels qui doivent être votre lot quotidien. J'ai attendu plus de vingt ans pour rencontrer celui dont la présence me pousse à vous solliciter ; je puis attendre encore quelques semaines avant d'officialiser, auprès d'un de vos collègues, mon amour.

En vous remerciant par avance de votre contribution, improbable mais majeure, à mon bonheur, je vous prie, très chère greffière, très estimé greffier (du Tribunal d'Instance de Saint-Amand), d'accepter l'expression de mes sentiments les meilleurs.

FabriceD