Le haricot vert est-il une couche lavable ?
Par FabriceD le lundi 22 février 2010, 22:37 - Omphalectomie - Lien permanent
L'idéal, évidemment, serait de réfléchir avant d'écrire ; mais réfléchir a posteriori n'est certainement pas le pire des pis-aller. Commençons donc par un battage de coulpe en règle : mon billet précédent est doublement coupable.
Et d'un, je me suis clairement laissé aller au bobo-centrisme. La pomme était si belle que je l'ai croquée sans plus m'inquiéter : l'occasion jubilatoire de rechercher et de citer des termes un peu rares ; le parallèle tentant entre la pauvreté du vocabulaire du fast-food et l'immédiateté de cette nourriture, le labeur de la cuisine traditionnelle et le bouillonnement du dictionnaire ; le besoin d'un retour à la terre, d'un retour aux racines pour un jeune citadin d'origine rurale. Tout y était. Le résultat ? Il faut équeuter les haricots pour éviter la barbarie. Faiblard.
Comment ne pas discuter, au moins, de ce que l'effilage des haricots peut apparaître comme un luxe ? Pour n'avoir pas eu dernièrement à me poser la question, il me semble bien avoir lu que les fruits et légumes frais n'étaient plus à la portée des foyers les plus modestes. Mettons que cette objection m'ait été masquée par mes préjugés de classe (appelons cela comme cela), il y en avait une autre, bien plus proche de mon quotidien, que je suis impardonnable de n'avoir pas vue : l'équeutage des haricots est un loisir pour celui qui rentre raisonnablement frais d'une journée raisonnablement courte d'un travail raisonnablement épanouissant, pour celui sur lequel ne pèsent pas d'autres tâches ménagères que cet équeutage librement choisi, pour celui que l'urgence des attentes d'un conjoint amorphe ou d'enfants braillards ne contraint pas. N'est-ce pas un luxe exceptionnel d'avoir pour loisir ce qui, si facilement, pour d'autres, serait une corvée ?
On touche à ma deuxième faute : j'ai raté une occasion de parler d'Élisabeth Badinter. Elle est au centre d'une petite polémique pour avoir opposé écologie radicale
et émancipation de la femme. Son argument : l'écologie fait le lit du naturalisme et, revenant sur les acquis du XXe siècle, tend à réduire la femme à la maternité. (Je résume d'après la presse, car j'avoue ne pas avoir lu Le Conflit.) L'exemple qui circule est celui des couches lavables et de l'allaitement naturel qui, de bonnes pratiques environnementales, deviennent des impératifs moraux puis des corvées auxquelles la femme se doit de se plier pour être une bonne mère, c'est-à-dire une bonne femme.
On reproche à Mme Badinter d'ignorer les nuances du mouvement écologiste et de considérer Mmes Kosciusko-Morizet ou Duflot comme des écologistes radicales. (Je peux gagner, à ce jeux-là : si ces dames sont radicales, j'ai parmi mes amis de véritables extrémistes.) Une radicalité aussi consensuelle peut certes faire sourire, mais ce serait passer à côté de la question.
Si l'on s'éloigne un instant du féminisme, auquel je ne peux guère apporter et que Mme Badinter défend très bien sans mon aide, on voit assez bien la ressemblance entre la couche lavable et le haricot. Deux pratiques, marginalisées par le progrès technique, que l'on promeut soudain au nom de la nature (ou, plus marginalement, de la lexicographie), en faisant fi de la contrainte, de l'asservissement qu'elles peuvent engendrer. Deux impératifs qui viennent rogner la liberté des plus faibles, discrètement, au nom d'une cause indiscutable devant laquelle tout doit s'effacer.
N'y a-t-il pas une voie moyenne entre la Cause des uns et la Liberté des autres ? Ou, formulé autrement, suis-je vraiment tenu d'adhérer à une AMAP, de rencontrer des paysans et de renoncer à choisir les haricots que j'effile ou que j'équeute ?
Commentaires
Il va vraiment falloir que je fasse quelque chose pour ces apostrophes qui n'en sont pas et ces points d'interrogation qui sautent à la ligne.
Il manque une donnée dans ton raisonnement : la convivialité, tel qu'entre autres définit par Ivan Illich. Je schématise à outrance mais l'idée est que "l'outil" doit rendre l'homme et la femme autonome, et sans relation hiéarchique et sans contraindre son épanouissement.
Le vélo est convivial : on peut le réparer soi-même, permet des déplacements simples et des rencontres sociales. La voiture personnelle ne l'est pas : on en devient dépendant (l'assurance qui part tous les mois), elle place l'utilisateur dans une relation de dépendance au mécano, elle n'est pas propice au lien...
Maintenant, il faut se poser la même question à propos des haricots et couches lavables. Le "gain de temps" fait est-il mis à profit pour développer des relations sociales et conviviales ? Rencontrer son producteur dans une AMAP, ça prend du temps, mais est-ce que ça ne permet pas aussi de devenir "indépendant", de comprendre comment les fruits et légumes fonctionnent, d'être en contact avec la nature (même si ce n'est qu'un petit haricot de rien du tout). Le temps passé à équeuter n'est-il pas aussi un temps où l'on peut réfléchir, méditer sans avoir l'envie de "l'optimisation du temps" ?
Pour les couches lavables, il y a tout cela (contacts avec l'enfant, indépendance vis-à-vis du producteur de couches -plus de 1000 par bébé !-) et aussi une donnée écologique bien différente : comment peut-on tolérer la production de 1500kg de déchets quand une alternative simple peut exister ?
Ça y est, tu peux être content, tu as taquiné ton extrêmiste.
J'avais envie de répondre, mais un peu la flemme, donc merci Gotty. Et oui tu dois adhérer à une AMAP.
Gotty, plutôt que te taquiner, j'espérais ressusciter ton blog. Raté pour cette fois ?
Le seul argument vraiment convaincant pour les couches lavables est bien l'argument des déchets : le temps de lavage est pris sur le temps de contact avec l'enfant, l'indépendance par rapport au fabriquant de couche se fait au prix d'une nouvelle contrainte. Le problème que met en avant Mme Badinter est que cette contrainte ne sera pas choisie librement dans le couple et incombera statistiquement à la femme. En même temps que son "indépendance", elle subira une contrainte à son épanouissement.
Pierre, Gotty, sur les AMAP, cela coince toujours. Oui, je dois adhérer, me dit-on. C'est tout le problème : je le dois.
Quelle indépendance aurai-je gagné une fois que je dépendrai d'un producteur et non plus d'un vendeur ? Mon producteur sera-t-il vraiment plus convivial qu'Ali qui me vend des pommes de terre du Rhône ? J'équeuterai mes haricots tout pareil, mais sans les avoir choisis.
Toujours ce problème d'un impératif culpabilisateur, d'un renoncement à une part de liberté, sans contrepartie réelle.
Pour les couches lavables, je ne vois pas d'équivalent, mais pour l'équeutage des haricots, rien de tel que de le faire à deux devant la télé, ou avec les enfants pour parler de leur journée. Dans le genre re-tissage de lien, c'est très efficace. Surtout après une journée non raisonnablement courte de travail non raisonnablement peu fatiguant.