Les aldéhydes non-énolisables subissent la dismutation de Cannizzaro
Par FabriceD le vendredi 30 avril 2010, 23:48 - Pile de livres - Lien permanent
Charles Dantzig n’aime pas les clichés ; Romain, non plus ; les journalistes, si. Tous les matins, dans telle revue de presse, tel journal consacre sa manchette. Les températures sont conformes aux normales saisonnières, un ciel de traîne subsiste au sud de la Loire, les brumes matinales se dissipent toujours. Le Quai d’Orsay proteste, la place Beauvau punit, la Chancellerie comble les vides juridiques. Pendant ce temps-là, l’Élysée arbitre et Matignon gouverne. La Maison-Blanche, le Kremlin, le 10 Downing Street observent tout cela de loin. Dans tout l’Hexagone, les usagers sont pris en otages : on n’en sortira que par un Grenelle.
Les journalistes ont même un cliché pour parler des sujets rebattus : ce sont des marronniers. Le vrai pouvoir des Francs-Maçons, le grand classement des hôpitaux, dans quel lycée envoyer ses enfants ? qui gouverne vraiment la France ? Les cultureux n’y échappent pas : le palmarès des films de l’année, de la décennie, du siècle ! Et l’année Schumann, et l’année Chopin, et l’année Déodat de Séverac (plus rare). Les sportifs, de même : de ballons d’or en Jeux Olympiques, d’hiver en été, et le Tour de France tous les ans.
Mais, quoi ! on leur demande d’écrire, d’écrire et d’écrire encore. Que dire du monde, quand le monde dort ? Comment prendre le temps d’écrire, quand il s’affole ? Il faut noircir du papier, toujours, tous les jours, quoi qu’il arrive. Comme ces musiciens hollywoodiens qui composent au kilomètre : échappent-ils au cliché, à la redite ? Le thème du Seigneur des anneaux sonne déjà dans la troisième symphonie de Sibelius ; celui de Sleepy Hollow, dans le troisième concerto pour piano de Rachmaninov ; celui d’ET, on le devine dans le dernier mouvement de la Cinquième de Beethoven. (Si on se force un peu.) Paresse ? Réminiscence ? Raccourci pour rentrer plus tôt chez soi ?
Attention : voilà que je mélange tout.
Je comptais blâmer le cliché pour mieux vanter la citation et la redite, je confonds le tout dans mon troisième paragraphe, comment conclure dans le septième ? Puisque nous parlions de Rachmaninov : dans toutes ses œuvres, à un moment ou un autre, le thème se déforme, craque, se déchire ; quelques notes passent la tête par la fêlure, disparaissent à nouveau dans la mélodie, reviennent à la charge pour agrandir la brèche ; un coup final, le thème explose pour de bon, un monstre en sort, comme les serpents des Œufs fatidiques de Boulgakov. C’est le thème du Dies Irae. Ce n’est pas systématique, car l’effet est toujours différent, mais c’est inévitable. Alors, cliché ? Je ne crois pas.
On peut être hanté par des idées, des mélodies, des couleurs. (Klein, bleu ; noir, Soulages.) Ce n’est pas un cliché puisqu’il ne revient qu’à soi. Parfois, c’est un eczéma qui demande à ce qu’on le gratte, encore et encore. (Vialatte : Le progrès fait rage.
) Parfois, c’est un havre, une position de repos, un point de chute. (Vialatte : Et c’est ainsi qu’Allah est grand.
) L’artiste fait sienne son obsession ; ses disciples la reprennent par hommage ; la foule la répète par habitude — alors, c’est un cliché.
Il y a ainsi une phrase qui me revient souvent, comme un repas trop riche le long d’un après-midi trop chaud. Elle concerne le formaldéhyde, qui sent si bon l’amande mais qui est suicidaire. C’est une bien jolie phrase, sur un rythme de tango, pleine de mots mystérieux comme des noms de papillons précieux. Mais que faire d’une phrase pareille ?