Pourquoi je déteste C.

Ce que disent les sauvages : la politesse n'est qu'une convention. De même, ce que disent les barbares : le langage n'est qu'un outil. Bandes d'ânes, hordes de crétins ! Qu'un outil ! Comme le feu, l'archet et le pinceau, rien de moins. Qu'un outil... Les chimpanzés vident les fourmilières comme on récure un pot de glace, tirant d'un bâton une cuillère : on s'émerveille. Qu'ils sont intelligents : ils créent des outils ! (Et encore, ce n'est rien : les aigles utilisent des philosophes comme ouvre-boîtes pour faire de la soupe de tortue.) Un bâton, pensez-vous ! admirable ; mais le langage ? rien qu'un outil. Le naturalisme fait des ravages. Rien qu'un outil, mais pour penser, pour sentir, pour aimer, pour toucher, pour transmettre, pour rêver, pour souffrir, pour pleurer, pour rire, pour tuer et pour mourir. Rien qu'un outil.

Je vous vois venir, se disent-ils. Le vieux con vieuxconne : à bas les smileys, à bas le progrès. Vivent la stase, l'embaumement, la momification. Qui trop embrasse finalement étouffe. Deux objections : tout mouvement n'est pas progrès, le maintien vaut mieux que la régression.

Et une troisième pour les conservateurs, à l'opposé : altérer n'est pas dégrader. Quand Michel Tremblay fait entendre pour la première fois du joual dans ses écrits, il ne profane pas le français. Il l'époussette, le décrasse à grande eau, lui redonne ses couleurs. Conservation contre restauration. Sous la patine du français de Paris, ancienne et respectable, qu'on avait fini par prendre pour la chose même, la langue étouffait : débarrassée de la croûte, surgit une Joconde, la grosse femme d'à-côté, elle est enceinte. Voilà la vie.

Pourquoi râle-t-il, alors ? Parce que je déteste C. et que j'ai enfin compris pourquoi. C'est ce que j'essaie de vous dire.

Je n'essaie d'ailleurs pas de me justifier, notez-bien. Je déteste C. et je m'en trouve très bien. Ce garçon ne m'a jamais rien fait ; nos contacts sont rares, courts et circonscrits ; je le connais à peine. Aucune raison, donc, à ce que je ne le déteste pas : aussi injuste, aussi pétrie de préjugés, aussi gratuite puisse être ma hargne, elle ne lui risque aucun inconfort. L'amour du ver de terre pour l'étoile est tragique, mais la haine de la lune pour le moustique ? Indifférente. Pour autant, je suis assez heureux de savoir enfin pourquoi je déteste C.

Je grogne parfois d'entendre la jeunesse faire rimer bigoudi et Mouloudji, mais que m'importe ? L'usage m'accroche l'oreille, habituée à d'autres musiques, mais quoi ? Si cette prononciation est sincère... Ce que je déteste chez C. c'est qu'il écrit volontairement mal. Par bouffonnerie, il écrabouille les mots, leur inflige des orthographes drolatiques. Pour assaisonner des phrases fades, il ponctue trop comme un mauvais cuisinier qui abuserait du poivre. Cinq points d'exclamation, la marque d'un esprit malade, écrit Terry Pratchett. Une circonstance atténuante serait l'incompétence ou l'idiotie, mais non : je soupçonne C. d'intelligence et il sait certainement écrire.

Une explication, peut-être : C. est obsédé par l'apparence de la jeunesse. D'où son style : Jennifer, treize ans, encre fuchsia et petits cœurs sur les i.

Le langage souffre au passage. Mais, après tout, ce n'est jamais qu'un outil.

Commentaires

1. Le samedi 11 septembre 2010, 13:38 par V.

Tout pareil.

2. Le samedi 11 septembre 2010, 20:35 par Bill

Une référence et une citation dans le même billet. Après un billet entier à sa manière, on touche véritablement à l'idolâtrie. Mais je la comprends et j'en suis disciple aussi.