Iconographie

Saint Jérôme et Saint Matthias sont dans un musée : cela commence comme une histoire drôle, c'est un souvenir de Londres où je les ai croisés à la National Gallery. Je les y ai reconnus à un détail subtil : leur nom, sur le carton, à gauche du tableau. Mais d'autres indices auraient dû me guider. Un lion levait la patte aux pieds de Saint Jérôme et Saint Matthias tenait une hache ensanglantée : l'un avait enlevé une épine des coussinets du fauve, l'autre s'était fait martyriser façon équarrissage.

Non loin, deux saintes dont j'ai oublié le nom : l'une, que l'on aurait prise pour une première communiante, tenait le cierge qu'elle avait rallumé d'un souffle après que le diable l'eut éteint ; l'autre, sortie d'une maison des horreurs de fête foraine, serrait contre elle une Bible entourée d'un ruban que terminaient, comme des pompons, deux yeux. Oui, deux yeux globuleux sur lesquels des veines criardes dessinaient comme des parallèles et des méridiens. C'est que la lecture de la Bible lui avait rendu la vue, nous explique le carton, sans percer complètement le mystère : si elle était aveugle, comment a-t-elle lu les Écritures ? Cette Bible et ces yeux, ce sont la poule et l’œuf.

Évidemment, tout ceci n'est pas à prendre trop littéralement. Ces attributs ne sont là que pour aider le fidèle à différencier les innombrables barbus qui décorent les vitraux d'église et fournissent les légions célestes. Au contraire de leurs prénoms ridicules — Ouen, Cloud, Pancrace — les pauvres gens n'en étaient pas affligés de leur vivant. (D'autant que beaucoup en sont morts. Voir Matthias et sa hache.) Saint Jérôme allant faire ses courses, aucun boucher ne l'aurait accepté dans sa boutique avec son lion : Jérôme serait mort de faim, les peintres l'auraient représenté avec une assiette vide en guise d'auréole, on aurait oublié le lion. (Jérôme l'aurait peut-être mangé, par désespoir.)

Tout ce bric-à-crac d'animaux empaillés et de détails horrifiques échappe de plus en plus au spectateur moderne. La maladresse de certains artistes n'aide pas : le lion semble en peluche, les écoliers se demandent quand Saint Jérôme a pu remporter le Tour de France ; Saint Georges terrasse un dragon de nouvel an chinois, on cherche en vain une croisade plus lointaine que les autres. Les plus cultivés confondent malgré tout Saint Georges et Saint Matthieu. N'était la barbe, on prendrait Saint Jérôme pour Sainte Blandine.

Il n'y a que Saint Sébastien que je reconnaisse à coup sûr aux nuées de jeunes gens sensibles qui s'attroupent devant son jeune corps glabre, pâmé et criblé de flèches.

Commentaires

1. Le samedi 27 août 2011, 16:00 par Bill

On dit un cartel, il me semble, pour "le carton, à gauche du tableau". Lequel peut être en carton, d'ailleurs, mais ça m'étonnerait de la National Gallery de Londres.