Crépuscule

[...] Dans la lumière rose et bleu clair du couchant, ces trois chevaux blancs suivis d'une petite fille en robe jaune étaient tristes et très beaux. Plongés dans l'eau jusqu'aux genoux, ils remuaient la tête en répandant leur crinière sur l'arc allongé de leur cou — et hennissaient. Le soleil se couchait. Il y avait bien des mois que je n'avais pas vu le soleil se coucher. Après le long été du Nord, après ce jour ininterrompu, interminable, sans aubes, sans couchers de soleil, le ciel commençait enfin à s'alanguir au-dessus des bois, de la mer, des toits de la ville. Quelque chose comme une ombre (et peut-être simplement le reflet d'une ombre, l'ombre d'une ombre) se condensait à l'Orient. La nuit naissait peu à peu, câline et délicate ; et le ciel, à l'Occident, brûlait sur les forêts et sur les lacs en se recroquevillant au feu du couchant comme une feuille de chêne au feu las de l'automne.

Extrait de Kaputt, de Curzio Malaparte. Traduit de l'italien par Juliette Bertrand — Folio Gallimard.