La Comédie humaine (3)
Par RomainT le mardi 26 décembre 2017, 18:37 - Pile de livres - Lien permanent
Les Balzac de l’année 2017 : L’Interdiction, Le Contrat de mariage, Ursule Mirouët, La Rabouilleuse, Le Curé de Tours, Pierrette, Eugénie Grandet, Autre étude de femme. On a pleinement pu constater que Balzac était atteint du syndrôme de Clint Eastwood. Les grands créateurs prolifiques comme Balzac ou Hugo ont justement créé beaucoup… il y a bien sûr quelques chefs-d’œuvre, puis l’essentiel de la production qui oscille entre l’excellent et le très bon, mais on trouve aussi des œuvres moyennes, d’autres ratées. Ursule Mirouët et Autre étude de femme me semblent loin d’être les sommets de la Comédie humaine, au contraire de La Rabouilleuse et l’Interdiction.
Balzac excelle dans le roman court. C’est peut-être là qu’il est le meilleur. L’Interdiction est de ces textes francs, mais non dénués de délicatesse, qui vont à l’essentiel et ne s’attardent pas en chemin en vains bavardages. Dans Le Contrat de mariage ou Ursule Mirouët, Balzac perd en efficacité lorsqu’il se complaît à entrer dans une forêt de détails juridiques, chose qu’il adore mais qui peuvent encombrer certains de ses récits.
On peinerait à trouver une phrase superflue dans l’Interdiction. Le marquis d’Espard y est un personnage splendide, esprit intelligent et sensible, issu d’une noblesse séculaire. Il a découvert une faute commise par l’un de ses ancêtres, qu’il n’a de cesse de vouloir laver : elle lui pèse, elle contrevient à sa haute morale, à l’idée qu’il se fait du comportement qui sied à son rang. Il consacre donc une partie de sa fortune à dédommager une famille de basse extraction, pour effacer le méfait de son aïeul. Madame d’Espard, qui ne connaît pas les motivations nobles de son mari, l’accuse de dilapider la fortune du couple au profit d’inconnus. Elle, grande aristocrate parisienne introduite dans les milieux du pouvoir, ne peut accepter les largesses inconvenantes de son mari, qu’elle souhaite donc faire interdire (le mettre sous tutelle) pour s’assurer de la gestion de sa fortune. Le juge Popinot, modèle de probité et d’équité, est saisi du dossier. Il rencontre la marquise, puis le marquis, afin de connaître leurs raisons et pouvoir rendre son jugement de façon éclairée. Le marquis conte à Popinot l’histoire de sa famille, dans l’une des scènes les plus émouvantes de toute la Comédie humaine, où Balzac peint la grandeur d’un homme, à qui il est insupportable de savoir le nom entaché de meurtre. L’opposition entre la hauteur de vue du marquis et le goût des ors et du grand train que la marquise entend mener est saisissante. Deux conceptions diamétralement opposées du rang.
Popinot a fini par prendre fait et cause pour le marquis. Las, la marquise, sitôt le juge sorti de ses appartements, s’est entretenue avec le Garde des Sceaux. Le lendemain de sa rencontre avec le marquis, Popinot apprend qu’il est dessaisi, avec les suites que Balzac laisse imaginer au lecteur. Une centaine de pages, trois personnages superbes, une trame narrative implacable font de l’Interdiction l’un des grands romans de la litterature française.