Fête de la musique — C'était mieux ailleurs
Par FabriceD le jeudi 21 juin 2018, 22:33 - Petits riens - Lien permanent
Quoique né, à peu de chose près, en même temps que la Fête de la musique, je mentirais en prétendant en avoir des souvenirs très précoces. Cependant, il me reste de mes sorties adolescentes dans Clermont-Ferrand des sentiments et des sensations dont la nostalgie me suit : la peur d’être en retard a une odeur épaisse de merguez grillée, l’envie d’être cool résonne dans une cacophonie joyeuse.
C’est que le centre-ville clermontois n’est pas bien grand : toute la ville se retrouve entre la place de Jaude, celle de la Victoire et Ballainvilliers. En bas de la colline, Vercingétorix encourage la foule à monter vers la cathédrale ; en haut, Urbain II bénit ceux qui veulent s’en éloigner ; tout le monde se croise rue des gras. Les vendeurs de rue subissent la même compression : la barbe à papa tourne dans la fumée d’une rôtisserie, les churros baignent à côté des frites. (Je vous parle du millénaire dernier, le kébab n’était pas encore inventé.)
Et la musique est à l’unisson, pour ainsi dire : tutti frutti et pot pourri. Les groupes sont posés à la queue-leu-leu au pied des noires façades, comme les étals d’un vide grenier. En dix mètres, le moustachu à guitare cotoie un reggae-man à dreadlocks descendu en bus de Châteaugay que regardent avec réprobation les parents des trois collégiens chantant du Goldman. À chaque intersection, les quatre mêmes types en noir couvrent toute velléité musicale concurrente : le batteur porte des bagues en forme de tête de mort, le guitariste semble entre l’orgasme et l’agonie, le bassiste se regarde le bas ventre, le chanteur sera aphone le lendemain. Du conservatoire municipal s’échappe une symphonie de Dvorak dans un arrangement pour orchestre d’harmonie. Sur le perron de l’église des Minimes, une chorale chante des bondieuseries et Claire de St-V. me demande si j’ai accepté l’amour du Christ.
Depuis que je suis venu à Lyon, rien n’est plus pareil : aucun hard-rocker ce soir devant Saint-Nizier pour pimenter le chant de messe indigent qu’anonnait avec enthousiasme mais sans talent une demoiselle patronesse. Le plus proche groupe de percussions était à plus de cent mètres. La ville est trop grande, les musiciens trop espacés. On entend ce qu’ils jouent.
Et puis il n’y a plus de merguez. Et les collégiens ne chantent plus Goldman. Où sont donc les moustachus à guitare d’antan ?