Le songe de Dantzig
Par RomainT le vendredi 18 janvier 2019, 22:01 - Pile de livres - Lien permanent
Chambord-des-songes est un essai très Charles Dantzig. L’écrivain m’est cher et apparaît souvent au détour d’un texte ou l’autre de ce Petit chosier (ici, au sujet d’À propos des chefs-d’œuvre, par exemple).
Vibrionnant, drôle, tranchant, fait de digressions subtiles autant que de jugements à l’emporte-pièce ; de pages imagées qui élèvent, vous portent ailleurs ; de développements plus terriens qui vous collent au sol et vous replacent dans le cadre quotidien contemporain. Le ton est personnel, reconnaissable dès le premier paragraphe, avec ce goût de l’aphorisme dont Dantzig farcit chacun de ses livres. Cela foisonne, cela fourmille, c’est cette richesse renouvelée à chaque opus que le lecteur espère d’un auteur si divers.
« L’art plaît par la surprise et se maintient par la pantoufle. »
Charles Dantzig explore le concept de château et ses ramifications, avec comme point d’attache celui qui est pour lui LE château : Chambord. Il s’y engouffre, épuise son objet tantôt en le détourant à la machette, tantôt en le caressant de la pulpe des doigts. Il explore, par de courts chapitres centrés sur un sujet, ce qui peut concerner de près ou de loin ce château : la Renaissance, le roi, le vêtement, les hommes de l’art, l’architecture, la mode… Chapitres prétextes à une plongée dans une époque et ses traits distinctifs, certes, mais Dantzig revient toujours au présent, entremêlant ses phrases sur le temps de François 1er et ses pensées sur le monde actuel. Qu’on ne s’y trompe pas, il s’agit surtout de nous : ce que l’on aime, comment on vit, ce qui nous dirige (et ceux qui nous dirigent) forment comme un sous-ensemble au cœur du thème Chambord. À l’entrée « Anciens et Modernes » de son Dictionnaire égoïste de la littérature française, Dantzig avait déjà choisi son camp : « Quand il y a querelle entre les Anciens et les Modernes, choisissez les Modernes : c’est vous. »
« Il n’y a pas de passé, hélas. Il n’y a que des ailleurs. »
Chambord-des-songes permet de retrouver des obsessions de Dantzig, qu’il a déjà beaucoup développées (entre autres) dans ses précédents Traité des gestes, Encyclopédie capricieuse du tout et du rien et Dictionnaire égoïste de la littérature française : le goût de la diversité des langues, le voyage, les listes, le dégoût des brutes, toutes les formes d’art et la littérature à leur sommet, l’écrivain comme héros. Je le trouve toujours peu inspiré dans ses rabaissements fréquents de l’ingénieur ou de la technique ; je conviens que c’est un prisme personnel, l’auteur aura les siens. On pourra s’agacer de choses injustes distillées en passant, comme de petites piques, ou par plaisir d’un bon mot. Mais laissons de côté cette sensibilité-là pour ne garder souvenir, la lecture se poursuivant, que du meilleur : un livre qui dès son titre annonce l’évasion et en tient les promesses évocatrices. Le style de Dantzig virevolte et laisse entrer un grand courant d’air frais sur la fin de la décennie 2010, dont tant de recoins (notamment littéraires) sentent le moisi.
Chambord-des-songes, C. Dantzig, Flammarion, janvier 2019.