L’opération Ventre plat avant l’été
, reconduite d’année en année, n’aurait donné aucun résultat, on aurait pu la laisser tranquille comme un wagon oublié sur une voie de garage qu’on laisse rouiller sans s’en soucier. Las, elle produisait et produisait encore des résultats, quoique pas ceux espérés, et c’est le médecin du travail qui me l’a fait remarquer : Monsieur, ce n’est pas raisonnable de prendre dix kilos tous les deux ans, il faut vous arrêter là.
Le wagon était garé sur une voie en pente, les freins avaient lâché, sa marche d’abord paisible était devenue course folle, comme dans ses téléfilms amusants où un train fou transporte des déchets nucléaires et fond sur Denver. (Ou Chicago. Ou New York. Autant de grandes villes que de scénarios possibles.)
Les mesures prises par le médecin étaient formelles : il fallait que j’en prenne aussi, des mesures, et des plus drastiques. Ainsi naquit l’opération Ventre plat pendant l’été
. La saison s’y prête : le corps gras ne demande qu’à fondre comme beurre au soleil tandis que, partout, la jeunesse musculeuse montre l’exemple. Surtout, la vision en maillot de bain d’amis semi-squelettiques, comme autant d’alternatives menaçantes à l’attrait de ma beauté replète, cette vision filiforme finit d’affermir ma résolution à affermir mes parties molles.
Dont acte : plus de pain avec les féculents, moins de féculents avec le reste, des légumes verts ou gris ou rouges, des légumes, plein de légumes, et de la viande sèche, et de l’eau plate, et de l’eau gazeuse, moins de bière, moins de gnôle, moins de vin, de la marche, les escaliers du métro, volent les haltères et ploient les abdos. L’été est passé : trois kilos et demi déjà d’abandonnés au bord de la route des vacances. (Sur combien, je ne vous le dirai pas.)
Un tel succès, plus inhabituel encore qu’inespéré, m’inquiète soudain : ne serait-ce pas, plutôt que mes efforts, l’effet d’un ver solitaire, de vers grégaires, d’un petit ver ou d’un grand ver ? Angoisse prématurée, pour l’instant : il reste encore assez de moi pour le nourrir quelques mois.